vendredi 28 septembre 2012

De la relativité du risque…

Si l’on se fie à un article publié dans La Presse ce mardi, il est « plus risqué de marcher jusqu’à l’école à Montréal » (sic), sauf que si on lit l’article jusqu’à la fin, on peut y observer une autre manchette dont le titre est « la voiture et l’autobus ne sont pas sans danger » (sic) !!! Que peut-on faire en attendant l’avènement de la téléportation ? Sérieusement, avec deux manchettes aussi contradictoires, il peut s’avérer difficile de s’y retrouver lorsqu’un paquet de statistiques sont présentées de cette façon. Je vais essayer de mettre un peu d’ordre là-dedans…

D’abord, selon toute vraisemblance, l’objectif des deux articles était d’identifier les modes de transport qui sont associés au plus grand nombre d’accidents reliés au transport scolaire en comparant la ville de Montréal au reste du Québec. Ce sur quoi l’auteur insiste, c’est qu’à Montréal, il y a un plus grand nombre d’accidents chez les jeunes qui marchent, tandis qu’ailleurs au Québec, il y a davantage d’accidents chez ceux qui utilisent le transport motorisé (voiture et autobus).

 
La marche est-elle vraiment plus dangereuse?

Il faut se rendre plutôt loin dans l’article pour y lire que les jeunes de Montréal marchent davantage pour se rendre à l’école, particulièrement dans les quartiers défavorisés. Dans ces quartiers, la marche est le mode de transport scolaire le plus utilisé, mais il y a généralement plus de trafic que dans les quartiers de banlieue parce que l’organisation typique des villes fait en sorte que les banlieusards doivent fréquemment traverser les quartiers centraux défavorisés pour aller travailler, et la grande majorité d’entre eux le font en voiture. Il y a aussi un certain nombre d’habitants des quartiers défavorisés qui utilisent la voiture comme mode de transport principal, sans oublier le transport de marchandises et les autobus.

Ainsi, les jeunes qui marchent dans les quartiers centraux défavorisés sont plus exposés au risque de collision avec les véhicules motorisés. Il n’est donc pas étonnant que la quantité d’accidents routiers soit plus élevée chez les jeunes qui marchent dans les quartiers défavorisés.

Or, le fait que la quantité d’accident y est numériquement plus élevée est une chose, mais la quantité totale d’accidents mortels en est une autre, et il s’avère qu’elle est très faible. Tel qu’indiqué dans l’article, 3 jeunes Québécois sont décédés suite à une collision survenue alors qu’ils marchaient pour se rendre à l’école entre 2006 et 2010 et la plupart des accidents n’entraînent que des blessures mineures. Bien sûr qu’il serait préférable que le nombre d’accident soit égal à zéro et il conviendrait de prendre des mesures pour diminuer le nombre de blessures et de décès (j’y reviendrai plus loin dans ce billet). Par contre, à la lumière des statistiques actuelles, il n’y a pas lieu d’alarmer la population.

Dans ce contexte, il aurait été pertinent que La Presse mentionne l’envers de la médaille : soit les risques de ne pas marcher (ou pédaler). Nous avons fait une revue exhaustive des études scientifiques sur le sujet et environ 80% d’entre elles ont montré que les jeunes qui marchent pour se rendre à l’école accumulent une plus grande quantité d’activité physique par jour (Larouche et al., sous presse). Il est clairement établit que l’activité physique a de nombreux bienfaits pour la santé (Organisation Mondiale de la Santé, 2010). D’ailleurs, TOUTES les études scientifiques que nous avons recensées ont montré que les jeunes qui vont à l’école à vélo ont une capacité cardiovasculaire supérieure à celle de leurs camarades.

Je vous proposerai bientôt sur ce blogue un résumé d’une étude Française qui illustre que les bienfaits du vélo sont plus de 20 fois supérieurs aux risques dans la région Parisienne.


Message douteux…

D’autre part, l’article « Plus risqué de marcher jusqu’à l’école à Montréal » pourrait alimenter la crainte des parents quant à la sécurité de leurs enfants, qui est déjà l’une des principales raisons pour lesquelles des parents interdisent à leurs enfants de se rendre à l’école à pied ou à vélo. En renforçant ces craintes, cet article pourrait motiver les parents Montréalais à décider d’amener leurs enfants à l’école en voiture au lieu de leur permettre d’y aller à pied ou à vélo. Or, ce faisant, il y aurait une augmentation de la circulation automobile autour des écoles, ce qui aurait pour effet d’augmenter le risque d’accident chez les jeunes dont les parents n’ont pas les moyens d’acheter une voiture, en plus d’une augmentation des émissions de polluants et de la sédentarité.
 

Pour améliorer réellement la sécurité des déplacements des jeunes…

Il serait préférable d’envisager d’autre types de mesure comme par exemple une meilleure application des règles de la circulation, une diminution des limites de vitesse (particulièrement dans les zones scolaires), l’amélioration de la signalisation routière, l’aménagement de meilleures infrastructures cyclables et piétonnières, l’ajout de « dos d’âne » pour motiver les automobilistes à ralentir et l’implantation de pédibus, etc. En plus de réduire le risque de blessures, plusieurs de ces mesures pourraient aussi favoriser le transport actif.

De plus, un autre facteur qui pourrait améliorer la sécurité des jeunes qui vont à l’école à pied serait… une augmentation du pourcentage de jeunes vont à l’école à pied ! En effet, plusieurs études scientifiques ont démontré que plus il y a d’individus qui font du transport actif, moins le risque d’accident pour chaque piéton ou cycliste est élevé (Elvik, 2009; Jacobsen, 2003).

 Les résultats de la synthèse de Jacobsen (2003) indiquent que lorsque le nombre d’utilisateurs du transport actif double, la quantité totale d’accidents n’augmente que de 32%. Admettons par exemple qu’on observe 1 décès pour 500 000 marcheurs à un moment donné, si le nombre de marcheurs augmente ensuite de 500 000 à 1 000 000, le nombre de décès augmenterait de 1 à 1,32. Ainsi, le risque passerait de 1/500 000 à 1,32/1 000 000 (donc 0,66 sur 500 000 si vous préférez). Les statisticiens discuteraient de ce phénomène comme une diminution du « risque relatif » d’accident – d’où le titre de ce billet !


Références

Elvik R. The non-linearity of risk and the promotion of environmentally sustainable transport. Accident Analysis & Prevention. 2009;41(4):849-855.

Jacobsen PL. Safety in numbers: more walkers and bicyclists, safer walking and bicycling. Injury Prevention, 9, 205-209. 2003

Larouche R, Saunders T, Faulkner GEJ, Colley RC, Tremblay MS (in press). Associations between active school transport and physical activity, body composition and cardiovascular fitness: a systematic review of 68 studies. Journal of Physical Activity and Health.

1 commentaire:

  1. En passant, un autre journaliste de la Presse, François Cardinal, a publié le 28 septembre un texte sur le sujet dont le message est remarquablement similaire à ce billet : http://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/francois-cardinal/201209/27/01-4578262-sentiment-dinsecurite.php

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