lundi 24 septembre 2012

Immatriculation obligatoire des vélos – Quelle mauvaise idée !

L’article est paru récemment dans La Presse : un commerçant États-Unien, Bob Huckaby, est parti en croisade contre les cyclistes et il fait campagne pour obtenir un référendum portant sur l’immatriculation obligatoire des vélos en Oregon. Il prétend que ça ferait en sorte que les cyclistes respecteraient davantage les règles de la circulation. D’après un sondage – quoique non-représentatif de la population – mené dans le fief du maire Rob Ford, bien connu pour la haine qu’il entretient à l’égard des cyclistes, 65% des Torontois seraient d’accord avec cette mesure.

À mon avis, c’est de la pensée magique. Les voitures doivent être immatriculées et pourtant, les automobilistes transgressent régulièrement les règles.  Une enquête de la Canadian Automobile Association (CAA) – un organisme dont la raison d’être est de représenter les intérêts des automobilistes – a mis en évidence un nombre très élevé d’infractions commises par les automobilistes Québécois dans les zones scolaires dans la seule journée du 11 septembre 2012. Celles-ci incluent notamment les excès de vitesse, l’omission d’utiliser les clignotants, le non-respect de la signalisation et des brigadiers scolaires, l’utilisation du téléphone cellulaire au volant, etc. Ironiquement, dans plusieurs cas, ce sont des parents eux-mêmes qui ont commis ces infractions, mettant ainsi en danger les camarades de leurs enfants.

Rien n’indique que cette situation  est unique au Québec ; après tout, les accidents de la route sont la 10è cause de décès dans le monde d’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, et la plupart de ces décès ont lieu dans les pays à faible et moyen revenu.

D’ailleurs, le principal déterminant de la gravité d’un accident impliquant un véhicule motorisé et un autre usager de la route est sans doute l’énergie cinétique (ou la force, si vous préférez) du véhicule en question. Et la force dépend de la masse et de la vitesse – c’est de la physique élémentaire.

En attendant des véhicules plus légers, il s’avère pertinent d’intervenir sur la vitesse. Justement, comme je l’ai mentionné dans un billet précédent, l’introduction de limites de vitesse de 20 miles à l’heure (32 km/h) dans les quartiers résidentiels Londonien a entraîné une diminution de 46% du risque de mortalité ou de blessures graves sur les routes (Grundy et al., 2009). Pas étonnant que le coroner de l’Ontario ait recommandé l’adoption de limites de vitesse de 30 km/h la semaine dernière !

Si l'immatriculation des voitures ne fait pas en sorte que les automobilistes respectent davantage les règles de la circulation, il n'y a pas lieu de croire que son impact serait différent chez les cyclistes. D'ailleurs, il y a déjà eu un tel règlement à Montréal, mais il fut abandonné parce que c'était une mesure régressive.


Un chausson, euh… pardon, un permis avec ça ?

En plus, M. Huckaby voudrait que les cyclistes soient obligés d’obtenir un permis avant de circuler sur les routes, suite à un examen portant sur les règles de la circulation. Or, comme l’indiquent les professeurs Ian Roberts et Phil Edwards de la London School of Hygiene and Tropical Medicine dans leur excellent livre intitulé The Energy Glut, il y a très peu de preuves que la sensibilisation des usagers vulnérables de la route (les piétons et cyclistes notamment) aux règles de la circulation permet de réduire le risque d’accident. On en revient à l’énergie cinétique et, ultimement, aux lois de la physique.

À mon avis, l’effet combiné d’une immatriculation et d’un permis obligatoire serait une diminution du nombre de cyclistes sur les routes. Selon le principe de sécurité du nombre (ou safety in numbers dans la langue de Shakespeare), une diminution du nombre de cyclistes se traduirait par une augmentation du risque d’accidents pour les gens qui continueraient tout de même à se déplacer en vélo (Elvik, 2009). Ce n’est donc pas du tout souhaitable.


Une vache à lait…

D’après l’article de La Presse, plusieurs des répondants au sondage de Forum Research qui se disaient favorables à l’immatriculation des vélos prétendent que les montants ainsi récoltés pourraient servir à subventionner les infrastructures cyclables. L’empressement de M. Huckaby à mettre un prix sur l’immatriculation et le permis qu’il propose va dans le même sens. Dans cette perspective, les recettes ainsi récoltées feraient du vélo une vache à lait pour le transport durable.

Car, il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, 98% des montants investis en transport sont accaparés par le transport motorisé. Bien que peu élevé, le pourcentage de la population utilisant la marche et le vélo comme principal mode de transport est plus élevé que 2% (Alliance for Biking & Walking, 2012). Il en résulte que les piétons et cyclistes paient déjà de façon disproportionnée pour les infrastructures dédiées d’abord et avant tout aux automobilistes. D’ailleurs, bien qu’ils ne paient pas d’impôts présentement, les enfants et adolescents d’aujourd’hui devront payer plus tard pour les conséquences du développement axé sur l’automobile au niveau de l’environnement et de la santé publique.

 
Les « règles d’or » de la CAA

En terminant, je crois qu’il est pertinent d’examiner les 4 mesures proposées par la CAA Québec pour accroître la sécurité dans les zones scolaires. Je les ai inscrites verbatim ci-dessous :

1.      Assurer la visibilité de la zone scolaire.

2.      Prévoir un accès pour chacun (aménager des voies d’accès sûres et très sécuritaires pour les cyclistes et les piétons).

3.      Assurer le respect des limites de vitesse.

4.      Organiser la circulation grâce aux brigadiers.

C’est drôle, mais il n’y est pas du tout question de l’immatriculation des vélos…

 
Références

Alliance for Biking and Walking. Bicycling and Walking in the United States: 2012 Benchmarking Report. 2012. http://www.peoplepoweredmovement.org/site/index.php/site/memberservices/2012_benchmarking_report/

Elvik R. The non-linearity of risk and the promotion of environmentally sustainable transport. Accident Analysis & Prevention. 2009;41(4):849-855.

Grundy C, Steinbach R, Edwards P, Wilkinson P & Green J. Effect of 20 mph traffic zones on road injuries in London, 1986-2006: controlled interrupted time series analysis. British Medical Journal. 2009;339:b4469

Roberts I, Edwards P. The energy glut: the politics of fatness in an overheating world. London: Zed Books. 2010.

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