À
mon avis, c’est de la pensée magique. Les voitures doivent être immatriculées
et pourtant, les automobilistes transgressent régulièrement les règles. Une enquête de la Canadian Automobile Association
(CAA) – un organisme dont la raison d’être est de représenter les intérêts des
automobilistes – a mis en évidence un nombre très élevé d’infractions commises
par les automobilistes Québécois dans les zones scolaires dans la seule journée du 11 septembre 2012.
Celles-ci incluent notamment les excès de vitesse, l’omission d’utiliser les
clignotants, le non-respect de la signalisation et des brigadiers scolaires,
l’utilisation du téléphone cellulaire au volant, etc. Ironiquement, dans
plusieurs cas, ce sont des parents eux-mêmes qui ont commis ces infractions,
mettant ainsi en danger les camarades de leurs enfants.
Rien
n’indique que cette situation est unique
au Québec ; après tout, les accidents de la route sont la 10è cause de décès
dans le monde d’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, et la
plupart de ces décès ont lieu dans les pays à faible et moyen revenu.
D’ailleurs,
le principal déterminant de la gravité d’un accident impliquant un véhicule
motorisé et un autre usager de la route est sans doute l’énergie cinétique (ou
la force, si vous préférez) du véhicule en question. Et la force dépend de la
masse et de la vitesse – c’est de la physique élémentaire.
En
attendant des véhicules plus légers, il s’avère pertinent d’intervenir sur la
vitesse. Justement, comme je l’ai mentionné dans un billet précédent, l’introduction
de limites de vitesse de 20 miles à l’heure (32 km/h) dans les quartiers
résidentiels Londonien a entraîné une diminution de 46% du risque de mortalité
ou de blessures graves sur les routes (Grundy et al., 2009). Pas étonnant que
le coroner de l’Ontario ait recommandé l’adoption de limites de vitesse de 30
km/h la semaine dernière !
Si l'immatriculation des voitures ne fait pas en sorte que les automobilistes respectent davantage les règles de la circulation, il n'y a pas lieu de croire que son impact serait différent chez les cyclistes. D'ailleurs, il y a déjà eu un tel règlement à Montréal, mais il fut abandonné parce que c'était une mesure régressive.
Un chausson, euh… pardon, un permis
avec ça ?
En
plus, M. Huckaby voudrait que les cyclistes soient obligés d’obtenir un permis
avant de circuler sur les routes, suite à un examen portant sur les règles de
la circulation. Or, comme l’indiquent les professeurs Ian Roberts et Phil
Edwards de la London School of Hygiene and
Tropical Medicine dans leur excellent livre intitulé The Energy Glut, il y a très peu de preuves que la sensibilisation
des usagers vulnérables de la route (les piétons et cyclistes notamment) aux
règles de la circulation permet de réduire le risque d’accident. On en revient
à l’énergie cinétique et, ultimement, aux lois de la physique.
À
mon avis, l’effet combiné d’une immatriculation et d’un permis obligatoire
serait une diminution du nombre de cyclistes sur les routes. Selon le principe
de sécurité du nombre (ou safety in
numbers dans la langue de Shakespeare), une diminution du nombre de
cyclistes se traduirait par une augmentation du risque d’accidents pour les
gens qui continueraient tout de même à se déplacer en vélo (Elvik, 2009). Ce n’est
donc pas du tout souhaitable.
Une vache à lait…
D’après
l’article de La Presse, plusieurs des répondants au sondage de Forum Research qui
se disaient favorables à l’immatriculation des vélos prétendent que les
montants ainsi récoltés pourraient servir à subventionner les infrastructures
cyclables. L’empressement de M. Huckaby à mettre un prix sur l’immatriculation
et le permis qu’il propose va dans le même sens. Dans cette perspective, les
recettes ainsi récoltées feraient du vélo une vache à lait pour le transport
durable.
Car,
il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, 98% des montants investis en
transport sont accaparés par le transport motorisé. Bien que peu élevé, le
pourcentage de la population utilisant la marche et le vélo comme principal mode
de transport est plus élevé que 2% (Alliance for Biking & Walking, 2012). Il
en résulte que les piétons et cyclistes paient déjà de façon disproportionnée
pour les infrastructures dédiées d’abord et avant tout aux automobilistes.
D’ailleurs, bien qu’ils ne paient pas d’impôts présentement, les enfants et
adolescents d’aujourd’hui devront payer plus tard pour les conséquences du
développement axé sur l’automobile au niveau de l’environnement et de la santé
publique.
Les « règles d’or » de la
CAA
En
terminant, je crois qu’il est pertinent d’examiner les 4 mesures proposées par
la CAA Québec pour accroître la sécurité dans les zones scolaires. Je les ai
inscrites verbatim ci-dessous :
1.
Assurer la visibilité de la zone scolaire.
2.
Prévoir un accès pour chacun (aménager des
voies d’accès sûres et très sécuritaires pour les cyclistes et les piétons).
3.
Assurer le respect des limites de vitesse.
4.
Organiser la circulation grâce aux
brigadiers.
C’est
drôle, mais il n’y est pas du tout question de l’immatriculation des vélos…
Références
Alliance for Biking and
Walking. Bicycling and Walking in the
United States: 2012 Benchmarking Report. 2012. http://www.peoplepoweredmovement.org/site/index.php/site/memberservices/2012_benchmarking_report/
Elvik R. The non-linearity
of risk and the promotion of environmentally sustainable transport. Accident Analysis & Prevention.
2009;41(4):849-855.
Grundy C, Steinbach R,
Edwards P, Wilkinson P & Green J. Effect of 20 mph traffic zones on road
injuries in London, 1986-2006: controlled interrupted time series analysis. British Medical Journal. 2009;339:b4469
Roberts I, Edwards P. The energy glut: the politics of fatness in
an overheating world. London: Zed Books. 2010.
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