mardi 6 décembre 2011

Conférence de l’ONU sur les changements climatiques – « Cachez cette solution gagnant-gagnant que je ne saurai voir »


Au moment où j’écris ces lignes, les délégués d’environ 190 pays sont en discussion à Durban en Afrique du Sud dans la cadre de la conférence annuelle de l’ONU sur les changements climatiques. L’objectif ultime de cette rencontre est d’établir un nouveau traité international avec des objectifs contraignants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Cet objectif devient de plus en plus important à mesure que l’on se rapproche de l’échéance du Protocole de Kyoto qui est prévue en 2012.

Malheureusement un groupe de cancres – le Canada, les États-Unis, la Russie et le Japon – multiplie ses efforts pour nuire au processus de négociation et tenter de s’affranchir de sa responsabilité historique. La délégation Canadienne est composée principalement de lobbyistes des compagnies pétrolières qui ont des intérêts dans le développement des sables bitumineux de l’Alberta. Quant à eux, les chefs des partis d’opposition peuvent assister à la conférence, mais seulement à titres d’observateurs ; autrement dit, ils ne participent pas aux négociations.

D’ailleurs, il s’en est fallu de peu pour que la chef du parti vert du Canada, Elizabeth May assiste à la conférence à titre de déléguée de… Tuvalu, cet État insulaire situé sur l’océan Pacifique et, de par sa topographie, menacé d’extinction advenant une hausse du niveau des mers causée par la fonte des calottes glaciaires.

De toute évidence, les cibles de réduction des émissions de GES du Protocole de Kyoto sont nettement insuffisantes pour limiter la hausse de la température moyenne sur la surface de la Terre à 2 degrés Celsius. Ce n’est pas non plus l’entente idéale parce qu’elle n’inclus pas de réduction des émissions pour les économies dites émergentes, soit notamment la Chine, l’Inde et le Brésil. Par contre, c’est jusqu’à maintenant le seul traité international où des objectifs « contraignants » ont été adoptés… reste à voir s’ils seront appliqués.

Justement, en raison de son non-respect du protocole, le Canada serait passible d’une amende de 14 à 19 milliards si un des pays signataires portait plainte contre Ottawa. Il sera intéressant de voir si un pays osera passer de la parole à l’acte. Étant donné qu’il s’agirait d’une facture importante, peut-être que les contribuables Canadien pourraient mettre davantage de pression pour que, dorénavant, le gouvernement cesse de transgresser ses engagements internationaux. Cela dit, vu que le mandat « majoritaire[i] » de M. Harper n’arrivera à échéance qu’en 2015, ça risque tout de même de prendre un certain temps avant que le Canada cesse de collectionner les prix fossiles remis aux cancres lors des conférences de l’ONU sur les changements climatiques…


Passons maintenant au positif !

Comme je l’ai déjà mentionné sur ce blogue, le secteur du transport est responsable de 23% des émissions de GES à l’échelle internationale (International Transport Forum, 2010). Dans les pays industrialisés, cette proportion grimpe à 30% et au Québec, elle atteint un retentissant 43,5%. Inévitablement, le secteur du transport devra être ciblé dans le cadre des efforts internationaux visant à réduire les émissions de GES.

En Nouvelle-Zélande, un groupe de chercheurs a  analysé les impacts d’untransfert de 5% de la part modale de l’automobile au vélo pour les trajets de 7 kilomètres[ii] et moins sur la pollution et les émissions de GES ainsi que sur la mortalité et le risque d’accidents routiers (Lindsay et al., 2011). Pour arriver à leurs fins, ils ont analysé des données provenant de différentes banques de données Néo-Zélandaise ainsi qu’un outil développé par l’Organisation Mondiale de la Santé pour estimer la réduction de la mortalité associée au vélo.

Les principaux résultats au point de vue environnemental sont les suivants :
-          Diminution de 223 millions de kilomètres parcourus en voiture, soit l’équivalent de 22 millions de litres d’essence par année.
-          Diminution des émissions de GES de 50 000 tonnes d’équivalents en CO2 (soit une réduction de 0,4% des émissions totales de la Nouvelle-Zélande)
-          Diminutions considérables des émissions d’autres polluants comme les particules fines (PM10), les oxydes d’azote, et les composés organiques volatils.

Au niveau de la santé :
-          116 morts évités annuellement via l’augmentation de la pratique d’activités physiques associées au vélo.
-          5,6 morts évités en raison de la diminution de la pollution de l’air.
-          5 décès additionnels associés aux accidents de la route [soit dit en passant le nombre absolu d’accident de la route entraînant la mort de cyclistes diminuerait si l’augmentation de la part modale était plus substantielle].

Au niveau macroéconomique :
-          En considérant uniquement la diminution de la mortalité, les économies financières seraient de l’ordre de 200 millions de dollars Néo-Zélandais par année.
-          Chaque kilomètre parcouru à vélo était associé à des bienfaits économiques de 1,50$ à 2,69$ par individu.[iii]

Il est aussi important de souligner que la population de la Nouvelle-Zélande est de 2 fois inférieure à celle du Québec et de 16 fois inférieure à celle de la France par exemple.

Certains individus pourraient douter de la possibilité d’une augmentation de 5% de la part modale du vélo. Il faut savoir qu’en Nouvelle-Zélande, la part modale est à peine supérieure celle du Canada[iv], on peut dire d’une certaine manière que le vélo a atteint le fond du baril et, qu’avec un plan d’action bien conçu, il devrait remonter la pente. À Portland (Oregon), la part modale est passée de 1.1 à 5.8% en moins de 20 ans et l’objectif de la ville est d’atteindre 20-25% d’ici 2030 (Gotschi, 2011). Dans l’ensemble des Pays-Bas – et pas seulement à Amsterdam – 24% des adultes utilisent le vélo comme principal mode de transport. Pour les trajets de moins de 6,4 km (4 miles), cette proportion atteint 37% (Pucher et Buehler, 2008). Dans ce contexte, le scénario d’une hausse de 5% utilisé par Lindsay et ses collègues n’est pas irréaliste.

Comme je l’ai mentionné, un transfert de 5% des trajets de moins de 7km en milieu urbain de l’automobile vers le vélo entraînerait une baisse des émissions de GES totales de 0,4%. Or, si la part modale du vélo atteignait les mêmes proportions qu’aux Pays-Bas, on obtiendrait une diminution d’environ 3% des émissions de GES. Dans le cadre du Protocole de Kyoto, les pays signataires s’étaient engagés à réduire leurs émissions de GES de 5,2%.

Donc, seulement en remplaçant 37% des déplacements de moins de 7 km par le vélo (ou d’autres modes de transport actif), il serait possible d’accomplir plus de la moitié des réductions d’émissions prévues dans le Protocole de Kyoto. En plus, un tel changement d’habitudes de vie aurait des retombées économiques énormes (diminution des coûts de soin de santé, des coûts associés à la perte de productivité pour cause de maladies, ainsi que des coûts associés à la congestion routière). Voilà une solution gagnant-gagnant, mais on dirait que nos politiciens rétorquent « Cachez ce vélo que je ne saurai voir… »

La principale limite de cette étude est, bien entendu le fait qu’il s’agit d’une simulation. Par contre, les résultats obtenus sont cohérents avec ceux des autres études et simulations qui ont réalisés dans plusieurs pays différents (Angleterre, Pays-Bas, États-Unis, Espagne, Inde, etc.). J’en discute justement de façon plus approfondie dans un chapitre de livre qui devrait être publié en libre-accès cet hiver (Larouche, sous presse). J’ai aussi discuté des cas de Barcelone et Portland sur ce blogue il y a quelques mois.


Références

Gotschi, T. (2011). Costs and benefits of bicycling investments in Portland, Oregon. Journal of Physical Activity and Health, 8 (Suppl. 1), S49-S58.

Larouche, R. (Sous presse). The environmental and population health benefits of active transport: a review. Greenhouse Gases Book 1. ISBN 979-953-307-224-0.

Lindsay, G., MacMillan, A., Woodward, A. (2011). Moving urban trips from cars to bicycles: impacts on health and emissions. Australian and New Zealand Journal of Public Health, 35 (1), 54-60.

Pucher, J., Buehler, R. (2008). Making cycling irresistible: Lessons from The Netherlands, Denmark and Germany. Transport Reviews, 28 (4), 495-528.


[i] Le parti conservateur a obtenu un mandat majoritaire avec l’appui de seulement 24% des Canadiens inscrits sur la liste électorale, faut-il le rappeler.
[ii] Les auteurs ont choisi 7 km parce qu’il s’agit d’une distance que la majorité des gens pourraient parcourir en moins de 30 minutes.
[iii] J’attends les remerciements pour les quelques 6000 km que j’ai parcourus à vélo cette année et les quelques 1500 km à la marche (c’est une blague).
[iv] Aux recensements de 2006, la part modale du vélo était de 1,3% au Canada comparativement à 1,9% en Nouvelle-Zélande. A fortiori, il y a eu une diminution du vélo en Nouvelle-Zélande par rapport aux données des années 1980.

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