Au moment où j’écris ces lignes, les
délégués d’environ 190 pays sont en discussion à Durban en Afrique du Sud dans
la cadre de la conférence annuelle de l’ONU sur les changements climatiques.
L’objectif ultime de cette rencontre est d’établir un nouveau traité
international avec des objectifs contraignants pour réduire les émissions de
gaz à effet de serre (GES). Cet objectif devient de plus en plus important à
mesure que l’on se rapproche de l’échéance du Protocole de Kyoto qui est prévue
en 2012.
Malheureusement un groupe de cancres –
le Canada, les États-Unis, la Russie et le Japon – multiplie ses efforts pour
nuire au processus de négociation et tenter de s’affranchir de sa
responsabilité historique. La délégation Canadienne est composée principalement
de lobbyistes des compagnies pétrolières qui ont des intérêts dans le
développement des sables bitumineux de l’Alberta. Quant à eux, les chefs des
partis d’opposition peuvent assister à la conférence, mais seulement à titres
d’observateurs ; autrement dit, ils ne participent pas aux négociations.
D’ailleurs, il s’en est fallu de peu
pour que la chef du parti vert du Canada, Elizabeth May assiste à la conférence
à titre de déléguée de… Tuvalu, cet État insulaire situé sur l’océan Pacifique
et, de par sa topographie, menacé d’extinction advenant une hausse du niveau
des mers causée par la fonte des calottes glaciaires.
De toute évidence, les cibles de
réduction des émissions de GES du Protocole de Kyoto sont nettement
insuffisantes pour limiter la hausse de la température moyenne sur la surface
de la Terre à 2 degrés Celsius. Ce n’est pas non plus l’entente idéale parce qu’elle
n’inclus pas de réduction des émissions pour les économies dites émergentes,
soit notamment la Chine, l’Inde et le Brésil. Par contre, c’est jusqu’à
maintenant le seul traité international où des objectifs
« contraignants » ont été adoptés… reste à voir s’ils seront
appliqués.
Justement, en raison de son non-respect
du protocole, le Canada serait passible d’une amende de 14 à 19 milliards si un
des pays signataires portait plainte contre Ottawa. Il sera intéressant de voir
si un pays osera passer de la parole à l’acte. Étant donné qu’il s’agirait
d’une facture importante, peut-être que les contribuables Canadien pourraient
mettre davantage de pression pour que, dorénavant, le gouvernement cesse de
transgresser ses engagements internationaux. Cela dit, vu que le mandat « majoritaire[i] »
de M. Harper n’arrivera à échéance qu’en 2015, ça risque tout de même de
prendre un certain temps avant que le Canada cesse de collectionner les prix
fossiles remis aux cancres lors des conférences de l’ONU sur les changements
climatiques…
Passons
maintenant au positif !
Comme je l’ai déjà mentionné sur ce
blogue, le secteur du transport est responsable de 23% des émissions de GES à l’échelle internationale (International Transport Forum, 2010). Dans les pays
industrialisés, cette proportion grimpe à 30% et au Québec, elle atteint un
retentissant 43,5%. Inévitablement, le secteur du transport devra être ciblé
dans le cadre des efforts internationaux visant à réduire les émissions de GES.
En Nouvelle-Zélande, un groupe de
chercheurs a analysé les impacts d’untransfert de 5% de la part modale de l’automobile au vélo pour les trajets de 7
kilomètres[ii]
et moins sur la pollution et les émissions de GES ainsi que sur la mortalité et
le risque d’accidents routiers (Lindsay et al., 2011). Pour arriver à leurs
fins, ils ont analysé des données provenant de différentes banques de données
Néo-Zélandaise ainsi qu’un outil développé par l’Organisation Mondiale de la
Santé pour estimer la réduction de la mortalité associée au vélo.
Les principaux résultats au point de
vue environnemental sont les suivants :
-
Diminution
de 223 millions de kilomètres parcourus en voiture, soit l’équivalent de 22
millions de litres d’essence par année.
-
Diminution
des émissions de GES de 50 000 tonnes d’équivalents en CO2
(soit une réduction de 0,4% des émissions totales de la Nouvelle-Zélande)
-
Diminutions
considérables des émissions d’autres polluants comme les particules fines (PM10),
les oxydes d’azote, et les composés organiques volatils.
Au niveau de la santé :
-
116
morts évités annuellement via l’augmentation de la pratique d’activités
physiques associées au vélo.
-
5,6
morts évités en raison de la diminution de la pollution de l’air.
-
5
décès additionnels associés aux accidents de la route [soit dit en passant le nombre absolu d’accident de la route entraînant
la mort de cyclistes diminuerait si l’augmentation de la part modale était plus
substantielle].
Au niveau macroéconomique :
-
En
considérant uniquement la diminution de la mortalité, les économies financières
seraient de l’ordre de 200 millions de dollars Néo-Zélandais par année.
-
Chaque
kilomètre parcouru à vélo était associé à des bienfaits économiques de 1,50$ à
2,69$ par individu.[iii]
Il est aussi important de souligner que
la population de la Nouvelle-Zélande est de 2 fois inférieure à celle du Québec
et de 16 fois inférieure à celle de la France par exemple.
Certains individus pourraient douter de
la possibilité d’une augmentation de 5% de la part modale du vélo. Il faut
savoir qu’en Nouvelle-Zélande, la part modale est à peine supérieure celle du
Canada[iv],
on peut dire d’une certaine manière que le vélo a atteint le fond du baril et,
qu’avec un plan d’action bien conçu, il devrait remonter la pente. À Portland
(Oregon), la part modale est passée de 1.1 à 5.8% en moins de 20 ans et
l’objectif de la ville est d’atteindre 20-25% d’ici 2030 (Gotschi, 2011). Dans
l’ensemble des Pays-Bas – et pas seulement à Amsterdam – 24% des adultes
utilisent le vélo comme principal mode de transport. Pour les trajets de moins
de 6,4 km (4 miles), cette proportion atteint 37% (Pucher et Buehler, 2008). Dans
ce contexte, le scénario d’une hausse de 5% utilisé par Lindsay et ses
collègues n’est pas irréaliste.
Comme je l’ai mentionné, un transfert
de 5% des trajets de moins de 7km en milieu urbain de l’automobile vers le vélo
entraînerait une baisse des émissions de GES totales de 0,4%. Or, si la part
modale du vélo atteignait les mêmes proportions qu’aux Pays-Bas, on obtiendrait
une diminution d’environ 3% des émissions de GES. Dans le cadre du Protocole de
Kyoto, les pays signataires s’étaient engagés à réduire leurs émissions de GES
de 5,2%.
Donc, seulement en remplaçant 37% des
déplacements de moins de 7 km par le vélo (ou d’autres modes de transport
actif), il serait possible d’accomplir plus de la moitié des réductions d’émissions
prévues dans le Protocole de Kyoto. En plus, un tel changement d’habitudes de
vie aurait des retombées économiques énormes (diminution des coûts de soin de
santé, des coûts associés à la perte de productivité pour cause de maladies,
ainsi que des coûts associés à la congestion routière). Voilà une solution
gagnant-gagnant, mais on dirait que nos politiciens rétorquent « Cachez ce
vélo que je ne saurai voir… »
La principale limite de cette étude
est, bien entendu le fait qu’il s’agit d’une simulation. Par contre, les
résultats obtenus sont cohérents avec ceux des autres études et simulations qui
ont réalisés dans plusieurs pays différents (Angleterre, Pays-Bas, États-Unis, Espagne,
Inde, etc.). J’en discute justement de façon plus approfondie dans un chapitre
de livre qui devrait être publié en libre-accès cet hiver (Larouche, sous
presse). J’ai aussi discuté des cas de Barcelone et Portland sur ce blogue il y
a quelques mois.
Références
Gotschi, T. (2011). Costs and benefits of bicycling
investments in Portland, Oregon. Journal
of Physical Activity and Health, 8 (Suppl. 1), S49-S58.
Larouche, R.
(Sous presse). The environmental and
population health benefits of active transport: a review. Greenhouse Gases
Book 1. ISBN 979-953-307-224-0.
Lindsay, G.,
MacMillan, A., Woodward, A. (2011). Moving urban trips from cars to bicycles:
impacts on health and emissions. Australian
and New Zealand Journal of Public Health, 35 (1), 54-60.
Pucher, J., Buehler, R. (2008). Making cycling
irresistible: Lessons from The Netherlands, Denmark and Germany. Transport Reviews, 28 (4), 495-528.
[i] Le
parti conservateur a obtenu un mandat majoritaire avec l’appui de seulement 24%
des Canadiens inscrits sur la liste électorale, faut-il le rappeler.
[ii]
Les auteurs ont choisi 7 km parce qu’il s’agit d’une distance que la majorité
des gens pourraient parcourir en moins de 30 minutes.
[iii]
J’attends les remerciements pour les quelques 6000 km que j’ai parcourus à vélo
cette année et les quelques 1500 km à la marche (c’est une blague).
[iv] Aux
recensements de 2006, la part modale du vélo était de 1,3% au Canada
comparativement à 1,9% en Nouvelle-Zélande. A fortiori, il y a eu une
diminution du vélo en Nouvelle-Zélande par rapport aux données des années 1980.
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