lundi 21 mars 2016

Les chevrons vélo : du rouge à lèvre sur un cochon ?



J’ai discuté à plusieurs reprises sur ce blogue des bienfaits des infrastructures cyclables de qualité. À l’inverse, aujourd’hui je présente le cas « d’infrastructures cyclables » de piètre qualité : les chevrons vélo (ou bike sharrows dans la langue de Shakespeare).

Les chevrons vélo sont tout simplement des vélos peinturés sur l’asphalte dont le but est de sensibiliser les automobilistes à la présence des cyclistes et de suggérer aux cyclistes où circuler (souvent pour éviter que les gens dans les véhicules stationnés sur le bord de la route ouvrent leur porte sur un cycliste). Le site web de la ville d’Ottawa fournit d’ailleurs une explication détaillée des objectifs des chevrons vélos, photos à l’appui.

Remarquez toutefois qu’ils utilisent le terme « avantages » de façon un peu abusive à mon avis et ils ne discutent pas des désavantages… Peut-être qu’ils ne les connaissent pas, donnons-leur le bénéfice du doute, mais rectifions la situation !

Les chevrons vélos (voir illustration ci-dessous) ont d’abord été utilisés dans le sud-ouest des États-Unis et ils sont maintenant très communs dans plusieurs villes canadiennes. 



Dans le but de vérifier si les chevrons vélo encouragent les gens à se déplacer à vélo et améliorent la sécurité des cyclistes, des chercheurs ont réalisé une étude longitudinale dans laquelle ils ont comparé trois types de rues, soit des rues avec des chevrons vélo, des bandes cyclables ou sans infrastructures cyclables (Ferenchak et Marshall, 2015).

L’étude a été effectuée dans la ville de Chicago où il y a une augmentation considérable du pourcentage de déplacements à vélo durant la dernière décennie, notamment grâce à des investissements majeurs dans les infrastructures cyclables (voir Pucher et al., 2011). Ainsi, il n’est guère surprenant que le nombre de cyclistes a augmenté sur les trois types de rues étudiées. Cela dit, le nombre de cyclistes a augmenté de façon beaucoup plus importante sur les rues avec des bandes cyclables. Encore là, ce n’est pas surprenant parce que d’autres études ont montré que la majorité des cyclistes préfèrent emprunter des trajets où ils ont accès à des bandes cyclables en bonne et due forme (voir Winters et Teschke, 2010). 

Quant aux rues avec des chevrons vélo, l’augmentation du nombre de cyclistes a été à peine plus élevée que sur les rues sans aucune infrastructure cyclable.

Les résultats concernant la sécurité des cyclistes sont encore plus frappants. Pour les trois types de rues, les chercheurs ont observé une diminution du nombre d’accidents de vélo. C’est une bonne nouvelle, mais il s’agit probablement de l’œuvre du phénomène de sécurité du nombre (safety in numbers) dont j’ai discuté dans ce billet. Selon ce phénomène, plus un mode de transport est fréquent, plus il devient sécuritaire. Considérant l’importante augmentation du pourcentage de déplacements à vélo à Chicago, il n’est pas surprenant de constater une diminution du risque d’accidents.

Par contre, le risque d’accident a diminué de façon plus importante sur les rues dépourvues d’infrastructures cyclables que sur les rues dotées de chevrons vélo. Ce résultat suggère que les chevrons vélo peuvent créer un faux sentiment de sécurité chez les cyclistes. À l’inverse, la diminution du risque d’accident a été encore plus grande pour les rues avec des bandes cyclables.

À mon avis, les chevrons vélo semblent plaire à certaines personnes parce qu’ils ne coûtent pas cher (c’est juste de la peinture !) et qu’ils ne nécessitent pas de trouver un compromis entre l’espace réservé aux cyclistes et aux automobilistes. Or, en ce qui a trait à la sécurité des cyclistes, installer des chevrons vélo, c’est comme maquiller un cochon (pour employer l’expression de Barack Obama). Je profite donc de cette tribune pour vous encourager à sensibiliser vos décideurs locaux quant à l’importance d’investir dans des infrastructures cyclables de qualité au lieu d’installer des mesures cosmétiques et insuffisantes.


Références

Ferenchak NN, Marshall WE. The relative (in)effectiveness of bicycle sharrows on ridership and safety outcomes. Transportation Research Board Annual Meeting 2016 Paper #16-5232. http://trid.trb.org/view.aspx?id=1393928

Pucher J, Buehler R, Seinen M. Bicycling renaissance in North America? An update and re-appraisal of cycling trends and policies. Transportation Research Part A. 2011;45(6):451-475.

Winters M, Teschke K. Route preferences among adults in the near market for bicycling: findings of the cycling in cities study. American Journal of Health Promotion. 2010;25(1):40-47.

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