vendredi 26 février 2016

Notre travail utilisé comme élément de preuve en cour suprême





 L’hiver dernier, j’ai fait partie d’un groupe d’experts qui a développé un énoncé de position sur le jeu actif à l’extérieur chez les enfants. L’énoncé a été publié en juin 2015, conjointement avec le Bulletin de l’activité physique chez les jeunes de ParticipACTION et j’en ai résumé les grandes lignes sur ce blogue. Brièvement, l’énoncé stipule que :

« L’accès au jeu actif à l’extérieur et dans la nature, avec les risques que cela comporte, est essentiel au développement sain de l’enfant. Nous recommandons d’augmenter les occasions que les enfants ont de jouer de façon autonome dehors, dans des environnements variés, soit à la maison, à l’école, au service de garde, dans la communauté et dans des environnements naturels. »

J’ai appris lundi matin que l’énoncé de position a été utilisé, avec succès, comme un élément de preuve devant la cour suprême de la Colombie-Britannique.

Dans le procès Thompson c. Corp. of the District of Saanich, une mère de famille poursuivait la municipalité en responsabilité civile (pour obtenir un montant d’argent) parce que sa fille a subi une blessure à la tête en jouant dans le terrain de jeu durant un camp d’été. Cette malheureuse blessure est survenue lorsqu’elle s’adonnait à une variante de la tag, sur une structure de jeu.

De son côté, la défense prétendait que la municipalité prenait toutes les précautions nécessaire pour éviter que les enfants soient exposés indument à un danger. Cela n’implique pas qu’elle doit empêcher l’occurrence de toute blessure.

Dans sa décision concise, le juge Justice Baird insiste sur le fait que la jeune fille a participé à ce jeu de son plein gré et qu’elle y participait régulièrement. Il observe également que l’équipement du terrain de jeu était tout à fait réglementaire. Le juge écrit d’ailleurs :

« Je soupçonne que la plupart des canadiens sont familiers, d’une façon générale, avec la mission de ParticipACTION pour promouvoir un mode de vie plus actif à l'échelle nationale. Leur bulletin conclue entre autres que la santé physique à long terme et le développement de l'enfant devraient être valorisés autant que la sécurité et que les règlements visant à prévenir les blessures et à minimiser le risque de poursuites en responsabilité civile sont devenus excessifs et contre-productifs pour la santé et la condition physique des jeunes [traduction libre]. »

En somme, la poursuite reposait sur la distinction entre les concepts de « danger » et de « risque », deux concepts qui ne sont pas synonymes (voir Brussoni et al., 2015 et Tremblay et al., 2015 pour une discussion approfondie). Par exemple, patiner sur un lac semi-gelé serait clairement un danger (c’est évident, mais il arrive à l’occasion qu’un adulte meurt de cette façon) ou employer des outils en métal à l’extérieur durant un orage électrique. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, on a davantage affaire à ce qu’on appelle un jeu actif comportant un élément de risque (voir Brussoni et al., 2015). Comme l’auteur Tim Gill mentionne sur son blogue, l’accident de Mme Thompson est regrettable, mais il illustre que dans certains cas, personne n’est à blâmer pour un accident.

Cette décision est particulièrement importante dans un contexte où les autorités scolaires et municipales sont portées à restreindre des activités normales (parfois aussi banales que le ballon-chasseur, la tag et la glissade) par peur d’être poursuivies en « responsabilité civile ».

Si la poursuite avait eu gain de cause, cela aurait eu pour effet de renforcer les craintes de ces autorités qui auraient pu restreindre encore davantage le droit des enfants de jouer. J’ai bien dit le droit – et ce droit est protégé par la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations-Unies (article 31), dont le Canada est l’un des pays signataires. Nous savons que le jeu actif est essentiel au développement cognitif, moteur et psychosocial de l’enfant (Tremblay et al., 2015).

J’espère donc que cette décision fera jurisprudence !


Références

Brussoni M, Gibbons R, Gray C et al. (2015). What is the Relationship between Risky Outdoor Play and Health in Children? A Systematic Review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 12, 6423-6454.

Nations Unies. Convention internationale des droits de l'enfant. New York, NY : Nations Unies; 1989.

Tremblay MS, Gray C, Babcock S, Barnes J, Bradstreet CC, Carr D, Chabot G, Choquette L, Chorney D, Collyer C, Devane S, Herrington S, Janson K, Janssen I, Larouche R, LeBlanc C, Pickett W, Power M, Sandseter EBH, Simon B, Brussoni M. (2015). Position statement on active outdoor play. International Journal of Environmental Research and Public Health, 12, 6475-6505.

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