Dans
un article paru récemment dans la revue Annual
Reviews of Public Health, Todd Litman, directeur de l’Institut sur les
politiques de transport de Victoria (Colombie-Britannique) décrit l’influence
des politiques de transport et d’aménagement du territoire sur la santé
publique en présentant deux paradigmes distincts :
1.
Le paradigme conventionnel qui évalue la performance du système de
transport principalement sur la base de l’aisance, de la vitesse et du coût (le
plus faible possible) des déplacements en voiture. Dominant depuis la 2è guerre
mondiale, ce paradigme tend à favoriser le développement et l’élargissement des
routes et autoroutes. Il tend à ignorer le trafic induit par la construction de
nouvelles autoroutes, tout comme les coûts associés à l’aménagement et
l’entretien des stationnements et néglige les autres modes de transport
(réduisant ainsi les options de transport des enfants et des personnes âgées).
2.
Le nouveau paradigme qui tient davantage compte de l’intégration des
différents modes de transport et qui considère les impacts des politiques de
transport sur l’environnement et la santé de façon plus globale. Il évalue la
performance du système de transport en termes d’accessibilité des destinations plutôt
qu’en termes de mobilité automobile.
Selon
Litman (2013), le paradigme conventionnel engendre un cercle vicieux
caractérisé par la dépendance à l’automobile et l’étalement urbain. L’urbanisme
axé sur l’automobile se traduit notamment par une offre de stationnement
élevée. Ceci nécessite beaucoup d’espace, donc les édifices sont construits
plus loin les uns des autres, entraînant une augmentation des distances à
parcourir. Conséquemment, le nombre de propriétaires d’automobiles augmente,
entraînant du même coût une augmentation du trafic.
Pour
réduire les embouteillages, le paradigme conventionnel favorise le
développement et l’élargissement des routes et autoroutes. Éventuellement, la
distance fait en sorte que les options de transport sont de plus en plus
réduites, les modes de transport alternatifs sont stigmatisés[i] et
l’étalement urbain se poursuit. Ce cercle vicieux fait en sorte que les
individus consacrent une bonne partie de leur temps et de leur argent à
l’utilisation et l’entretien de leur voiture (voir Tranter, 2012 à ce sujet).
Il exacerbe également des problèmes tels les accidents de la route, la
congestion routière, la déforestation, la pollution ainsi que la sédentarité et
les problèmes de santé qui y sont associés.
À
l’opposé, le nouveau paradigme propose une série de stratégies qui peuvent
permettre d’atteindre des objectifs comme l’inclusion et la sécurité du système
de transport, l’augmentation de la pratique d’activités physiques et la réduction
de la pollution émise par les véhicules. L’amélioration des infrastructures
pour le transport actif est, bien entendu, une des stratégies… La liste
comprend également :
-
L’amélioration des réseaux de
transport en commun pour réduire le nombre de déplacements en voiture.
-
L’implantation de mesures d’apaisement
de la circulation (ex : limites de vitesse plus basses, dos d’âne, etc.)
-
L’adoption de politiques sur les
rues complètes (dont j’ai récemment discuté sur ce blogue)
-
L’adoption de politiques d’urbanisme
durable (smart growth) favorisant une
densité de population élevée et un zonage mixte (qui permettent d’avoir une
plus grande variété de destinations à distance de marche).
Vers un changement de paradigme?
Un
changement de paradigme peut nécessiter beaucoup de temps et ne pas se produire
de façon uniforme. C’est ce que l’on constate en comparant différentes régions
du monde. Tandis que les Pays-Bas et le Danemark ont adopté graduellement
le nouveau paradigme au milieu des années 1970, le changement est plutôt lent
dans plusieurs autres pays, notamment le Canada et les États-Unis (Pucher et
Buehler, 2008). En Amérique du Nord, on peut présentement observer l’influence
du nouveau paradigme dans certains quartiers centraux et dans certaines villes plus
avant-gardistes à cet égard (ex : Portland, Oregon; Boulder, Colorado;
Davis, Californie). Espérons qu’il s’agit du début d’un plus vaste mouvement…
Références
Litman, T. (2013). Transportation and public health. Annual Reviews of Public Health, 34, 217-233.
Pucher J, Buehler R (2008). Making cycling
irresistible: Lessons from the Netherlands ,
Denmark and Germany . Transport Reviews, 28(4).
Tranter, P. (2012). Effective speed: cycling because
it’s “faster”. Dans J. Pucher & R. Buehler (Eds.), City Cycling (pp. 57-74). Cambridge
(Mass): MIT Press.
[i] Une campagne de marketing social de la Motor Accident Commission, l’équivalent Australien de la Société de
l’Assurance Automobile du Québec illustre bien comment les modes de transport
alternatifs sont stigmatisés. Nous avons justement critiqué cette campagne
(intitulée «Lose your licence and you’re
screwed») dans l’éditorial suivant: Larouche, R., Abbott, R. (2012). Promoting car driving safety
behaviours should not stigmatize cycling as an alternative mode of
transportation. Australian and New Zealand Journal of Public
Health, 36 (2), 193-194. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1753-6405.2012.00858.x/pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire