lundi 11 février 2013

Préparer l’après-pétrole et le monorail TRENS-Québec

La pétro-dépendance…

C’est bien connu, le Québec possède présentement des surplus d’électricité qu’il ne parvient plus à vendre aux États-Unis. En même temps,  le Québec est présentement dépendant du pétrole étranger. Par exemple, en 2008, les Québécois ont consommé 17,6 milliards de litres de pétrole ; il va sans dire que la consommation pétrolière est l’une des principales sources du déficit commercial.

Cette situation fait en sorte que la droite Québécoise[i] milite activement pour le développement de l’exploitation pétrolière au Québec, notamment en Gaspésie, sur l’île d’Anticosti et au gisement Old Harry. Ces individus et groupes d’intérêt s’opposent à tout obstacle à l’exploitation pétrolière et gazière (par exemple, le règlement municipal récemment adopté par la ville de Gaspé pour protéger ses sources d’eau potable). Ils tentent également de minimiser les risques, sachant pourtant que le Golfe du Saint-Laurent est 7 fois plus petit que le Golfe du Mexique, donc un déversement pétrolier semblable à celui de Deepwater Horizon pourrait avoir des conséquences encore plus graves.

Les arguments principaux de la droite pour justifier ces projets d’exploitation pétrolière sont principalement de nature économique. Ils prétendent que le Québec pourrait s’enrichir en devenant un exportateur de pétrole (encore faudrait-il que l’État exige des redevances dignes du nom, sinon l’argent n’inondera pas les coffres de l’État comme par magie…). Ils affirment également que la dépendance au pétrole ne s’estompera pas du jour au lendemain et, qu’au lieu de consommer du pétrole étranger, les automobilistes pourraient consommer du carburant produit au Québec.


…comme le tabagisme?

Dans un article paru dans la revue Journal of Public Health, des épidémiologistes Britanniques comparent la dépendance à l’automobile au tabagisme (Douglas et al., 2011) : « Les voitures causent des problèmes de santé significatifs. Les impacts incluent l’inactivité physique, l’obésité, la mortalité et les blessures causées par les accidents routiers, les maladies cardiorespiratoires causées par la pollution de l’air, le bruit, la séparation des communautés et les changements climatiques. Le lobby automobile s’oppose aux mesures qui réduiraient l’utilisation des automobiles en utilisant des tactiques similaires à l’industrie du tabac. Les décisions quant à l’emplacement et l’aménagement des communautés ont créé des environnements qui renforcent la dépendance à l’automobile. »

Invité à commenter cet article dans la même revue, Ian Roberts renchérit en affirmant que le fait de réduire notre dépendance à l’automobile pourrait favoriser la sécurité alimentaire (Roberts, 2011). Cette dépendance entraîne une hausse du prix de la nourriture, la croissance de la demande de carburant engendrant une hausse du prix des déplacements. La récession de 2008 a été précédée par une hausse rapide du prix du pétrole accompagnée par une montée de l’inflation qui a précipité les faillites lorsque la bulle a éclaté. Paradoxalement, les gouvernements se sont précipités au secours des banquiers et des manufacturiers de véhicules (qui promettaient des voitures plus propres).  Il conclue : « La dé-carbonisation des transports et de la société n’est pas le chemin vers l’austérité – c’est le seul moyen de l’éviter. »

D’ailleurs, comme je l’ai décrit de façon plus détaillée dans un billet précédent, la « période spéciale » Cubaine, suite à l’effondrement de l’URSS, illustre les impacts positifs que pourrait avoir une diminution de la dépendance à l’automobile (Franco et al., 2007, 2008). Surtout si la période de « sevrage » est planifiée.


Réduire notre consommation de carburants fossiles !

Dans le contexte actuel, il serait plus judicieux de viser à réduire notre consommation de pétrole le plus rapidement possible. En plus de réduire notre déficit commercial, ça permettrait d’améliorer notre santé et de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. L’utilisation d’énergies fossiles, principalement pour la production d’électricité et pour le transport, est la principale cause du réchauffement climatique. Ce dernier se produit d’ailleurs beaucoup plus rapidement que les modèles climatiques d’il y a seulement quelques années l’avaient prévu.

Nicholas Stern, l’ex économiste en chef de la Banque Mondiale et l'auteur du volumineux rapport sur les changements climatiques en 2006 a affirmé la semaine dernière qu’il avait grandement sous-estimé les risques (et donc les coûts de la procrastination internationale actuelle). Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté très rapidement au cours des dernières années avec la construction de milliers de centrales thermiques au charbon et la motorisation très rapide dans les pays en voie de développement, notamment la Chine et l’Inde. Simultanément, la déforestation diminue la capacité d’absorption des gaz à effet de serre et la fonte du pergélisol dans l’Arctique entraîne la libération du méthane (un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2) qui était enfoui sous terre. Tel que rapporté dans le Guardian, alors que le rapport Stern publié en 2006 prévoyait une hausse de 2 à 3 degrés des températures moyennes d’ici 2100, une hausse de 4 à 5 degrés semble désormais plus plausible. Il est donc grand temps de préparer l’après-pétrole.

Pour ce faire, un ensemble de stratégies devraient être mises en place. Dans le domaine du transport, la promotion du transport actif, un meilleur arrimage des réseaux de transport en commun avec les infrastructures cyclables, la mise en place de normes plus sévères en ce qui a trait aux gaz d’échappement, le remplacements des véhicules à essence par des véhicules électriques, l’introduction de péages sur tous les ponts menant à l’île de Montréal (pour financer des investissements dans le transport en commun) et la réduction des besoins de déplacements (avec le télétravail, des horaires plus flexibles pour éviter les heures de pointe, etc.) font partie du large éventail de solutions envisageables. Plusieurs autres mesures pourraient s’ajouter à cette liste. J’ai déjà discuté de plusieurs de ces possibilités sur ce blogue ; aujourd’hui il sera question d’une autre approche.


Le monorail TRENS-Québec

Étant donné que le Québec produit présentement de l’électricité à perte, il serait judicieux d’utiliser cette source d’énergie pour électrifier les réseaux de transport en commun. À ce sujet, le projet de monorail – un réseau de trains rapides (250 km/h) qui relierait les principales villes du Québec à un coût nettement inférieur au train à grande vitesse (TGV) – mérite d’être considéré. Ce train serait mu par des moteur-roues (une technique développée par le physicien Pierre Couture) sur un rail de fer suspendu à 10 mètres de hauteur.

Le système pourrait servir autant au transport de passagers que de marchandises, offrant ainsi la possibilité de réduire le nombre de camion lourds sur les routes et la congestion routière. La vitesse du monorail en ferait un sérieux concurrent à la voiture pour les trajets interurbains et, si un tel système était implanté à plus grande échelle, il deviendrait ridicule de prendre l’avion entre Montréal et Toronto par exemple (l’économie de temps serait presque nulle et l’avion est beaucoup plus polluante). Pour plus de détails concernant le projet, vous pouvez consulter cette vidéo.

En plus de développer ce réseau de monorail, le Québec pourrait s’inspirer d’exemples Européens (notamment des Pays-Bas, du Danemark et de l’Allemagne). Dans ces pays, il existe des infrastructures où il est possible d’entreposer son vélo de façon sécuritaire et à un coût raisonnable (beaucoup moins cher que pour stationner une voiture) aux gares de trains et d’autobus, soit dans des casiers conçus à cet effet ou dans des stationnements supervisés. Plusieurs offrent d’autres services complémentaires (ex : douches, outils pour les réparations de base). Ceci permet de mieux intégrer le vélo et le transport en commun afin que moins de gens se rendent aux gares en voiture.


À la croisée des chemins…

Le Québec semble présentement à la croisée des chemins en ce qui a trait aux questions environnementales. Les projets pétroliers en sont toujours au stade de l’exploration, donc il demeure possible de changer de direction (quitte à s’entendre avec les compagnies qui avaient profité des largesses du gouvernement de Jean Charest qui les avait laissé acheter des claims pétroliers pour une bouchée de pain). Le Bureau des audiences publiques sur l’environnement a été mandaté pour vérifier les travaux de l’évaluation environnementale stratégique (lire stratégiquement biaisée par la présence d’une majorité d’acteurs associés à l’industrie au sein du comité d’évaluation) sur les gaz de schiste.

Toutefois, il y a un gros nuage gris à l’horizon: la première ministre Pauline Marois s’est dite favorable à l’exploitation pétrolière en compagnie notamment de la première ministre de l’Alberta et lors de son récent voyage en Écosse. Elle pourrait également être tentée d’adopter l’idéologie du nationalisme pétrolier prônée par ses anciens collègues Bernard Landry, Lucien Bouchard, François Legault et André Boisclair. Or, compte tenu des changements climatiques, le pétrole n’est pas l’énergie du futur, mais plutôt celle du 20è siècle. Old Harry et Haldimand présentent des risques beaucoup trop importants (même la ministre des ressources naturelles l’a affirmé). Qui plus est, les sources d’énergies alternatives existent et sont sous-utilisées ; ce n’est pas comme si nous n’avions pas le choix.

La présence de ce surplus d’électricité qui est pour l’instant gaspillé constitue un argument économique important pour s’attaquer à la dépendance au pétrole. Si la consommation de pétrole durant une seule année équivaut à un déficit commercial de près de 20 milliards, la dette du Québec serait beaucoup plus faible si on avait commencé la transition vers le transport durable plus tôt. À bon entendeur !


Références

Douglas MJ, Watkins SJ, Gorman DR, Higgins M. (2011). Are cars the new tobacco? Journal of Public Health. 33(2):160-169.

Franco M, Ordunez P, Caballero B. et al. (2007). Impact of energy intake, physical activity and population-wide weight loss on cardiovascular disease and diabetes mortality in Cuba, 1980-2005. American Journal of Epidemiology, 166(12), 1374-1380.

Franco M, Ordunez P, Caballero B, Cooper RS. (2008). Obesity reduction and its possible consequences: what can we learn from Cuba’s Special Period. Canadian Medical Association Journal, 178(8), 1032-1034.

Roberts I. (2011). Why petrol tanks and stomachs are competing to be filled? Journal of Public Health. 33(2):170-171.


[i] Je fais notamment référence au Parti libéral du Québec, à la Coalition avenir Québec, aux chambres de commerce, aux médias de droite et d’extrême droite, et bien entendu aux pétrolières et gazières. S’ajoutent également quelques personnalités du centre comme Bernard Landry (ex-chef du parti Québécois), mais de façon générale, le soutien à l’exploitation pétrolière est beaucoup plus fort à la droite de l’échiquier politique et, bien entendu, certains acteurs ont des opinions plus nuancées que d’autres.

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