C’est
bien connu, le Québec possède présentement des surplus d’électricité qu’il ne
parvient plus à vendre aux États-Unis. En même temps, le Québec est présentement dépendant du pétrole
étranger. Par exemple, en 2008, les Québécois ont consommé 17,6 milliards de
litres de pétrole ; il va sans dire que la consommation pétrolière est l’une
des principales sources du déficit commercial.
Cette
situation fait en sorte que la droite Québécoise[i]
milite activement pour le développement de l’exploitation pétrolière au Québec,
notamment en Gaspésie, sur l’île d’Anticosti et au gisement Old Harry. Ces individus et groupes d’intérêt
s’opposent à tout obstacle à l’exploitation pétrolière et gazière (par exemple,
le règlement municipal récemment adopté par la ville de Gaspé pour protéger ses
sources d’eau potable). Ils tentent également de minimiser les risques, sachant pourtant que le Golfe du Saint-Laurent est 7 fois plus petit que
le Golfe du Mexique, donc un déversement pétrolier semblable à celui de Deepwater Horizon pourrait avoir des
conséquences encore plus graves.
Les
arguments principaux de la droite pour justifier ces projets d’exploitation
pétrolière sont principalement de nature économique. Ils prétendent que le
Québec pourrait s’enrichir en devenant un exportateur de pétrole (encore
faudrait-il que l’État exige des redevances dignes du nom, sinon l’argent
n’inondera pas les coffres de l’État comme par magie…). Ils affirment également
que la dépendance au pétrole ne s’estompera pas du jour au lendemain et, qu’au
lieu de consommer du pétrole étranger, les automobilistes pourraient consommer
du carburant produit au Québec.
…comme le tabagisme?
Dans
un article paru dans la revue Journal of
Public Health, des épidémiologistes Britanniques comparent la dépendance à
l’automobile au tabagisme (Douglas et al., 2011) : « Les voitures causent des problèmes de santé
significatifs. Les impacts incluent l’inactivité physique, l’obésité, la
mortalité et les blessures causées par les accidents routiers, les maladies
cardiorespiratoires causées par la pollution de l’air, le bruit, la séparation
des communautés et les changements climatiques. Le lobby automobile s’oppose
aux mesures qui réduiraient l’utilisation des automobiles en utilisant des
tactiques similaires à l’industrie du tabac. Les décisions quant à l’emplacement
et l’aménagement des communautés ont créé des environnements qui renforcent la
dépendance à l’automobile. »
Invité
à commenter cet article dans la même revue, Ian Roberts renchérit en affirmant
que le fait de réduire notre dépendance à l’automobile pourrait favoriser la
sécurité alimentaire (Roberts, 2011). Cette dépendance entraîne une hausse du
prix de la nourriture, la croissance de la demande de carburant engendrant une
hausse du prix des déplacements. La récession de 2008 a été précédée par une
hausse rapide du prix du pétrole accompagnée par une montée de l’inflation qui
a précipité les faillites lorsque la bulle a éclaté. Paradoxalement, les
gouvernements se sont précipités au secours des banquiers et des manufacturiers
de véhicules (qui promettaient des voitures plus propres). Il conclue : « La dé-carbonisation des transports et de la société n’est pas le chemin
vers l’austérité – c’est le seul moyen de l’éviter. »
D’ailleurs,
comme je l’ai décrit de façon plus détaillée dans un billet précédent, la « période
spéciale » Cubaine, suite à l’effondrement de l’URSS, illustre les impacts
positifs que pourrait avoir une diminution de la dépendance à l’automobile
(Franco et al., 2007, 2008). Surtout si la période de « sevrage » est planifiée.
Réduire notre consommation de
carburants fossiles !
Dans
le contexte actuel, il serait plus judicieux de viser à réduire notre
consommation de pétrole le plus rapidement possible. En plus de réduire notre
déficit commercial, ça permettrait d’améliorer notre santé et de réduire nos
émissions de gaz à effet de serre. L’utilisation d’énergies fossiles,
principalement pour la production d’électricité et pour le transport, est la
principale cause du réchauffement climatique. Ce dernier se produit d’ailleurs
beaucoup plus rapidement que les modèles climatiques d’il y a seulement
quelques années l’avaient prévu.
Nicholas
Stern, l’ex économiste en chef de la Banque Mondiale et l'auteur du volumineux rapport sur les changements climatiques en 2006 a
affirmé la semaine dernière qu’il avait grandement sous-estimé les risques (et donc les coûts de la procrastination internationale actuelle). Les
émissions de gaz à effet de serre ont augmenté très rapidement au cours des
dernières années avec la construction de milliers de centrales thermiques au
charbon et la motorisation très rapide dans les pays en voie de développement,
notamment la Chine et l’Inde. Simultanément, la déforestation diminue la
capacité d’absorption des gaz à effet de serre et la fonte du pergélisol dans
l’Arctique entraîne la libération du méthane (un gaz à effet de serre beaucoup
plus puissant que le CO2) qui était enfoui sous terre. Tel que rapporté dans le Guardian, alors que le
rapport Stern publié en 2006 prévoyait une hausse de 2 à 3 degrés des
températures moyennes d’ici 2100, une hausse de 4 à 5 degrés
semble désormais plus plausible. Il est donc grand temps de préparer l’après-pétrole.
Pour
ce faire, un ensemble de stratégies devraient être mises en place. Dans le domaine du transport, la promotion
du transport actif, un meilleur arrimage des réseaux de transport en commun
avec les infrastructures cyclables, la mise en place de normes plus sévères en
ce qui a trait aux gaz d’échappement, le remplacements des véhicules à essence
par des véhicules électriques, l’introduction de péages sur tous les ponts
menant à l’île de Montréal (pour financer des investissements dans le transport en commun) et la réduction des besoins de déplacements (avec le
télétravail, des horaires plus flexibles pour éviter les heures de pointe,
etc.) font partie du large éventail de solutions envisageables. Plusieurs
autres mesures pourraient s’ajouter à cette liste. J’ai déjà discuté de
plusieurs de ces possibilités sur ce blogue ; aujourd’hui il sera question
d’une autre approche.
Le monorail TRENS-Québec
Étant
donné que le Québec produit présentement de l’électricité à perte, il serait
judicieux d’utiliser cette source d’énergie pour électrifier les réseaux de
transport en commun. À ce sujet, le projet de monorail – un réseau de trains
rapides (250 km/h) qui relierait les principales villes du Québec à un coût
nettement inférieur au train à grande vitesse (TGV) – mérite d’être
considéré. Ce train serait mu par des moteur-roues (une technique développée
par le physicien Pierre Couture) sur un rail de fer suspendu à 10 mètres de
hauteur.
Le
système pourrait servir autant au transport de passagers que de marchandises,
offrant ainsi la possibilité de réduire le nombre de camion lourds sur les
routes et la congestion routière. La vitesse du monorail en ferait un sérieux
concurrent à la voiture pour les trajets interurbains et, si un tel système
était implanté à plus grande échelle, il deviendrait ridicule de prendre l’avion
entre Montréal et Toronto par exemple (l’économie de temps serait presque nulle
et l’avion est beaucoup plus polluante). Pour plus de détails concernant le
projet, vous pouvez consulter cette vidéo.
En
plus de développer ce réseau de monorail, le Québec pourrait s’inspirer
d’exemples Européens (notamment des Pays-Bas, du Danemark et de l’Allemagne).
Dans ces pays, il existe des infrastructures où il est possible d’entreposer
son vélo de façon sécuritaire et à un coût raisonnable (beaucoup moins cher que
pour stationner une voiture) aux gares de trains et d’autobus, soit dans des
casiers conçus à cet effet ou dans des stationnements supervisés. Plusieurs
offrent d’autres services complémentaires (ex : douches, outils pour les
réparations de base). Ceci permet de mieux intégrer le vélo et le transport en
commun afin que moins de gens se rendent aux gares en voiture.
À la croisée des chemins…
Le
Québec semble présentement à la croisée des chemins en ce qui a trait aux
questions environnementales. Les projets pétroliers en sont toujours au stade
de l’exploration, donc il demeure possible de changer de direction (quitte à s’entendre
avec les compagnies qui avaient profité des largesses du gouvernement de Jean
Charest qui les avait laissé acheter des claims pétroliers pour une bouchée de
pain). Le Bureau des audiences publiques sur l’environnement a été mandaté pour
vérifier les travaux de l’évaluation environnementale stratégique (lire stratégiquement
biaisée par la présence d’une majorité d’acteurs associés à l’industrie au sein
du comité d’évaluation) sur les gaz de schiste.
Toutefois,
il y a un gros nuage gris à l’horizon: la première ministre Pauline Marois s’est
dite favorable à l’exploitation pétrolière en compagnie notamment de la
première ministre de l’Alberta et lors de son récent voyage en Écosse. Elle
pourrait également être tentée d’adopter l’idéologie du nationalisme pétrolier prônée
par ses anciens collègues Bernard Landry, Lucien Bouchard, François Legault et
André Boisclair. Or, compte tenu des changements climatiques, le pétrole n’est pas
l’énergie du futur, mais plutôt celle du 20è siècle. Old Harry et Haldimand
présentent des risques beaucoup trop importants (même la ministre des
ressources naturelles l’a affirmé). Qui plus est, les sources d’énergies
alternatives existent et sont sous-utilisées ; ce n’est pas comme si nous n’avions
pas le choix.
La
présence de ce surplus d’électricité qui est pour l’instant gaspillé constitue
un argument économique important pour s’attaquer à la dépendance au pétrole. Si
la consommation de pétrole durant une seule année équivaut à un déficit commercial
de près de 20 milliards, la dette du Québec serait beaucoup plus
faible si on avait commencé la transition vers le transport durable plus tôt. À bon entendeur !
Références
Douglas MJ, Watkins SJ, Gorman DR, Higgins M. (2011). Are cars
the new tobacco? Journal of Public Health.
33(2):160-169.
Franco
M, Ordunez P, Caballero B. et al. (2007). Impact of energy intake, physical activity and population-wide
weight loss on cardiovascular disease and diabetes mortality in Cuba,
1980-2005. American Journal of
Epidemiology, 166(12), 1374-1380.
Franco M, Ordunez P, Caballero B, Cooper RS. (2008).
Obesity reduction and its possible consequences: what can we learn from Cuba’s
Special Period. Canadian Medical Association
Journal, 178(8), 1032-1034.
Roberts I. (2011). Why petrol tanks and stomachs are competing
to be filled? Journal of Public Health.
33(2):170-171.
[i] Je
fais notamment référence au Parti libéral du Québec, à la Coalition avenir
Québec, aux chambres de commerce, aux médias de droite et d’extrême droite, et
bien entendu aux pétrolières et gazières. S’ajoutent également quelques
personnalités du centre comme Bernard Landry (ex-chef du parti Québécois), mais
de façon générale, le soutien à l’exploitation pétrolière est beaucoup plus
fort à la droite de l’échiquier politique et, bien entendu, certains acteurs
ont des opinions plus nuancées que d’autres.
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