mardi 26 février 2013

Perdre sa vie à la gagner… tout en enrichissant les pétrolières

Le gouvernement Canadien a récemment apporté d’importantes modifications au régime d’assurance-emploi qui sont entrées en vigueur en janvier 2013. Vous pouvez voir les grandes lignes de ces modifications sur cet article paru sur le site web de Radio-Canada. Plusieurs manifestations ont eu lieu dans les dernières semaines pour protester contre cette réforme, particulièrement au Québec et dans les Maritimes, les régions qui seront particulièrement touchées étant donné le plus grand nombre d’emplois saisonniers.

Un effet pervers de ces modifications qui a reçu moins d’attention médiatique est qu’un chômeur devra désormais accepter un emploi dans un rayon de 100 kilomètres de son domicile. En assumant qu’un individu travaille 5 jours par semaine à 100 kilomètres de son domicile, ça fait 1000 km par semaine. D’après les données de la « Canadian Automobilists Association (CAA), le coût d’utilisation d’une voiture est généralement estimé à 0,42$ par km (les coûts varient bien sûr selon le type de voiture[i]). Donc, en une semaine, notre individu devrait débourser 420$ pour faire la navette entre la maison et le travail.

Si cette personne travaille 40 heures par semaine au salaire minimum, soit 9,90$/heure au Québec, son salaire sera de 396$/semaine. C’est donc dire qu’elle s’endetterait de 24$/semaine pour aller travailler. Bien entendu, cette situation serait intolérable et l’individu n’aurait pas le choix de déménager plus proche de son travail. D’où les craintes de voir les régions se dépeupler…

Mais prenons un autre exemple : un pêcheur est considéré comme un « prestataire fréquent » (sic) de l’assurance-emploi et il doit accepter un emploi à 25 km de son village à 70% de son salaire habituel, ce qui l’amènera au salaire minimum à temps plein (32 heures par semaine). Auparavant, il n’avait pas de voiture puisqu’il demeurait près du quai. Maintenant, il devra consacrer 105$ par semaine pour faire la navette. Il lui restera 211$ par semaine (AVANT impôts), pour se loger, se nourrir, se vêtir et payer les factures. Je ne suis pas fiscaliste, mais il me semble que du moment que cet individu à des personnes à charge, son emploi à temps plein lui fournira un salaire inférieur au seuil de pauvreté si on tient compte de la dépense imprévue pour s’acheter une voiture.

Il convient aussi de rappeler que la CAA est un organisme qui représente les automobilistes. Dans leurs calculs du coût d’utilisation d’une voiture, ils ne tiennent pas compte des coûts qui sont assumés par le gouvernement pour la construction et l’entretien des routes. Si les nouvelles modifications du régime d’assurance-emploi créent des besoins de déplacements additionnels – ce qui semble inévitable – le gouvernement devra payer davantage pour les routes. Comme l’argent ne pousse pas dans les arbres et que les conservateurs sont idéologiquement opposés à l’idée de réclamer aux entreprises leur juste part, ce seront les contribuables qui devront assumer la facture additionnelle.

D’ailleurs, les chiffres de la CAA ne tiennent également pas compte du temps de travail nécessaire pour payer les dépenses associées à l’utilisation d’une voiture. Dans l’exemple, notre (ex)pêcheur y consacrerait près de 11 heures de travail par semaine, voire davantage si on calcule en fonction de son revenu après impôts. Ces considérations nous ramènent au concept de « vitesse effective » proposé initialement par Ivan Illich dans les années 1970, dont j’ai discuté dans un billet précédent

Les coûts environnementaux associés à l’utilisation d’une voiture sont aussi omis des calculs de la CAA. Ces coûts incluent les émissions de gaz à effet de serre et autres gaz d’échappement, la destruction de milieux naturels pour construire des routes et des stationnements, etc. Ils incluent également la proportion des maladies cardiorespiratoires attribuable au gaz d’échappement (notamment les particules fines). L’American Heart Association a publié une recension des écrits très étoffée sur la relation entre les particules fines et les maladies cardiorespiratoires dans la revue Circulation; vous pouvez télécharger l’article en cliquant ici.

En bref, la réforme de l’assurance-emploi risque d’entraîner des coûts importants associés à la motorisation et, en bout de ligne, ce sont les pétrolières qui en tireront profit et les contribuables se retrouveront fort probablement Gros-Jean comme devant.


[i] Pour plus de détails méthodologiques, vous pouvez consulter le site suivant : http://www.caaquebec.com/NR/rdonlyres/BBF64E86-0133-4036-9819-B78577DB0D95/0/CAA_Driving_Costs_French.pdf

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