Un
effet pervers de ces modifications qui a reçu moins d’attention médiatique est
qu’un chômeur devra désormais accepter un emploi dans un rayon de 100
kilomètres de son domicile. En assumant qu’un individu travaille 5 jours par
semaine à 100 kilomètres de son domicile, ça fait 1000 km par semaine. D’après
les données de la « Canadian Automobilists Association (CAA), le coût
d’utilisation d’une voiture est généralement estimé à 0,42$ par km (les coûts
varient bien sûr selon le type de voiture[i]).
Donc, en une semaine, notre individu devrait débourser 420$ pour faire la
navette entre la maison et le travail.
Si
cette personne travaille 40 heures par semaine au salaire minimum, soit
9,90$/heure au Québec, son salaire sera de 396$/semaine. C’est donc dire
qu’elle s’endetterait de 24$/semaine pour aller travailler. Bien entendu, cette
situation serait intolérable et l’individu n’aurait pas le choix de déménager
plus proche de son travail. D’où les craintes de voir les régions se dépeupler…
Mais
prenons un autre exemple : un pêcheur est considéré comme un
« prestataire fréquent » (sic) de l’assurance-emploi et il doit
accepter un emploi à 25 km de son village à 70% de son salaire habituel, ce qui
l’amènera au salaire minimum à temps plein (32 heures par semaine). Auparavant,
il n’avait pas de voiture puisqu’il demeurait près du quai. Maintenant, il
devra consacrer 105$ par semaine pour faire la navette. Il lui restera 211$ par
semaine (AVANT impôts), pour se loger, se nourrir, se vêtir et payer les
factures. Je ne suis pas fiscaliste, mais il me semble que du moment que cet
individu à des personnes à charge, son emploi à temps plein lui fournira un
salaire inférieur au seuil de pauvreté si on tient compte de la dépense
imprévue pour s’acheter une voiture.
Il
convient aussi de rappeler que la CAA est un organisme qui représente les
automobilistes. Dans leurs calculs du coût d’utilisation d’une voiture, ils ne
tiennent pas compte des coûts qui sont assumés par le gouvernement pour la
construction et l’entretien des routes. Si les nouvelles modifications du
régime d’assurance-emploi créent des besoins de déplacements additionnels – ce
qui semble inévitable – le gouvernement devra payer davantage pour les routes.
Comme l’argent ne pousse pas dans les arbres et que les conservateurs sont
idéologiquement opposés à l’idée de réclamer aux entreprises leur juste part,
ce seront les contribuables qui devront assumer la facture additionnelle.
D’ailleurs,
les chiffres de la CAA ne tiennent également pas compte du temps de travail
nécessaire pour payer les dépenses associées à l’utilisation d’une voiture.
Dans l’exemple, notre (ex)pêcheur y consacrerait près de 11 heures de travail
par semaine, voire davantage si on calcule en fonction de son revenu après
impôts. Ces considérations nous ramènent au concept de « vitesse
effective » proposé initialement par Ivan Illich dans les années 1970,
dont j’ai discuté dans un billet précédent…
Les
coûts environnementaux associés à l’utilisation d’une voiture sont aussi omis
des calculs de la CAA. Ces coûts incluent les émissions de gaz à effet de serre
et autres gaz d’échappement, la destruction de milieux naturels pour construire
des routes et des stationnements, etc. Ils incluent également la proportion des
maladies cardiorespiratoires attribuable au gaz d’échappement (notamment les
particules fines). L’American Heart Association
a publié une recension des écrits très étoffée sur la relation entre les
particules fines et les maladies cardiorespiratoires dans la revue Circulation; vous pouvez télécharger l’article
en cliquant ici.
En
bref, la réforme de l’assurance-emploi risque d’entraîner des coûts importants
associés à la motorisation et, en bout de ligne, ce sont les pétrolières qui en
tireront profit et les contribuables se retrouveront fort probablement Gros-Jean
comme devant.
[i]
Pour plus de détails méthodologiques, vous pouvez consulter le site
suivant : http://www.caaquebec.com/NR/rdonlyres/BBF64E86-0133-4036-9819-B78577DB0D95/0/CAA_Driving_Costs_French.pdf
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