mercredi 14 septembre 2011

Taxe sur l’essence : quand le NPD se prend pour le parti conservateur

Une nouvelle campagne électorale s’est amorcée mercredi dernier en Ontario. Si c’est le style de campagne négative à l’américaine qui retient principalement l'attention des médias, c’est une proposition du NPD qui retient mon attention. Dans sa plate-forme électoraliste, le NPD ontarien prévoit diminuer la taxe de vente harmonisée (TVH) sur l’essence de 4%, soi-disant pour aider les familles à faible revenu. Je n’aurais pas été surpris de voir les conservateurs proposer une telle mesure, eux pour qui le mot taxe rime avec Satan...

Avant de parler des impacts potentiels d’une telle baisse de la TVH sur la consommation d’essence, il me semble important d’identifier qui pourrait réellement bénéficier de cette taxe.  D’après un texte de l’économiste Mike Moffat paru dans le quotidien Torontois Globe & Mail (qui est loin d’être un journal de gauche), une telle mesure permettrait au ménage moyen d’économiser 150$ par année. Là où le bât blesse, c’est que ce sont les riches qui économiseraient davantage parce que c'est eux qui consomment le plus d'essence[i]. Par exemple, une famille avec un revenu annuel de 90 000$ économiserait 5 fois plus qu’une famille avec un revenu de 30 000$ par année.  

De plus, le NPD estime que cette réduction de la taxe sur l’essence coûterait jusqu'à 500 millions de dollars par année, dont seulement des miettes iraient aux familles à faible revenu. Or, le NPD pourrait utiliser ce même montant pour augmenter le crédit d’impôt pour la TVH, et une telle mesure aiderait particulièrement les plus démunis. Selon les calculs de M. Moffat, une telle mesure rapporterait 320$ par année pour les familles de 4 qui gagnent moins de 51 000$ annuellement.

Impacts potentiels sur la consommation d’essence

Un chercheur États-Unien a effectué une méta-analyse d’une centaine d’études qui ont examiné l’impact d’un changement de 1% du prix de l’essence sur la consommation d’essence, c’est-à-dire l’élasticité de la demande (Esprey, 1996). Ses résultats indiquent que l’élasticité est de -0,26 à court terme (dans la première année) et de -0,58 à long terme. Ainsi, lorsque le prix diminue de 1%, la consommation augmente de 0,26% durant la première année et de 0,58% à long terme. Pour une baisse de 4% du prix, on peut donc estimer que les augmentations correspondantes de la consommation seraient de 1,04% et 2,32%.

En extrapolant ces données, on peut estimer que le projet du NPD augmenterait la consommation d’essence en Ontario d’environ 200 millions de litres lors de la première année[ii]. Cette estimation ne tient d’ailleurs pas compte de l’impact d’une éventuelle augmentation du trafic sur la consommation d’essence, ni d'une augmentation de la population.

D'ailleurs, l’élasticité de la demande est plus élevée à long terme, ce qui est n’est guère surprenant. Considérons par exemple l’impact de la récession de 2008. Dans les années qui ont précédé la récession, le prix de l’essence a grimpé tranquillement, jusqu’à atteindre près de 1,50$ au Québec et un peu moins en Ontario durant l’été 2008. Durant cette période, les consommateurs achetaient de plus en plus de petites voitures (ex : Toyota Yaris, Hyundai Accent, etc.). La récession à fait en sorte que le prix de l’essence a chuté de moitié et, tout d’un coup, les gens se sont mis à acheter des fourgonnettes et des véhicules utilitaires « sport ».

Impacts potentiels sur les émissions de gaz à effet de serre et les maladies cardio-respiratoires

À moyen terme, le projet du NPD pourrait ainsi stimuler l’achat de gros véhicules énergivores (à moins qu’il y ait un soudain éveil de la conscience environnementale au sein de la population). Une augmentation de la consommation d’essence entraînerait bien sur une augmentation des émissions de gaz à effet de serre associées au transport. À l’échelle internationale, le secteur du transport génère déjà 23% des gaz à effet de serre – cette proportion est nettement plus élevée dans les pays industrialisés – et la part du transport dans les émissions a augmenté de 45% entre 1990 et 2007 (International Transport Forum, 2010). C’est sans compter l’augmentation considérable du risque de maladies cardio-respiratoires associée aux particules fines émises par les automobiles (Brook et al., 2010).

En conclusion, le projet de réduction de la TVH sur l’essence du NPD n’aurait pas les effets escomptés pour les familles à faible revenu. Pire encore, il risque d’entraîner une augmentation de la consommation d’essence. Pourtant, le NPD critique régulièrement les conservateurs pour ne pas prendre de mesures concrètes pour atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto… On dirait que, par populisme, le NPD veut miser sur la grogne des automobilistes pour se faire élire (en balayant sous le tapis ses préoccupations environnementales).



Références

Brook, R.D., Rajagopalan, S., Pope III, A., Brook, J.R., Bhatnagar, A. et al. (2010). Particulate matter air pollution and cardiovascular disease: an update to the scientific statement from the American Heart Association. Circulation, Vol.121 (June 2010), pp. 2331-2378

Esprey, M. (1996). Explaining the variation in elasticity estimates of gasoline demand in the United States: a meta-analysis. Energy Journal, 17 (3), 49-60.

International Transport Forum (2010). Reducing transport greenhouse gas emissions: Trends and data 2010. Leipzig, Germany. http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/10GHGTrends.pdf


[i] Une des raisons pour laquelle je considère qu’il s’agit d’une politique conservatrice.
[ii] Un adulte canadien moyen roule 20 000 km par année d’après la CAA. Admettons qu’une voiture moyenne brûle 10 litres au 100km, on parle de 2 000 litres/année. 1,04% * 2000 litres/année * environ 10 000 000 d’adultes ontariens = 208 000 000 de litres d’essence supplémentaires.

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