Tel que rapporté dans le Devoir ce mardi, le gouvernement du Québec vient de dévoiler ses plans d’investissements dans le réseau routier. Au total, les investissements atteindront 3,9 milliards de dollars – sans compter les investissement des villes et du fédéral et les possibles dépassement de coûts – dont un peu plus de la moitié pour l’entretien des infrastructures existantes. Jusque là, il n’y a pas de quoi s’insurger, plusieurs ponts et viaducs sont dans un piteux état et certaines routes ressemblent à des champs de mine asphaltés – au grand dam des automobilistes et… des amateurs de vélo de route.
Par contre, le ministre des transports, Sam Hamad, a annoncé que près du tiers de ce montant sera dépensé pour construire de nouvelles artères et ajouter des voies aux autoroutes déjà existantes. Pour justifier ces dépenses[1], son argument principal est (et je cite) : « Le transport en commun, c'est une bonne chose pour toutes sortes de raisons, mais, en même temps, il va toujours y avoir une femme monoparentale, une maman ou un papa qui, le matin, est obligé de prendre l'auto pour aller porter l'enfant puisque le transport en commun ne répond pas nécessairement au besoin. »
D’abord, le transport scolaire n’est pas un luxe que les parents ne peuvent pas se permettre et, à toutes fins pratique, il est offert automatiquement aux élèves vivant à plus d’un mile (1.6 km) de l’école (et parfois même à des élèves vivant à une distance inférieure). Une des principales raisons qui amènent certains parents à reconduire leur enfant à l’école en voiture, c’est l’éloignement. Outre le cas particulier des écoles en milieu rural, cet éloignement est dû principalement à deux phénomènes : 1) Les nouvelles écoles sont souvent construites en périphérie de la ville et 2) Le fait que de plus en plus, les enfants ne fréquentent pas nécessairement l’école située le plus près de leur domicile (encouragé d’ailleurs par la prolifération des écoles à vocation particulière et par l’odieux palmarès annuel des écoles secondaires).
D’ailleurs, dans une récente étude scientifique États-Unienne, les auteurs ont étudié les impacts de 5 scénarios hypothétiques différents sur les coûts du transport scolaire et les émissions de plusieurs polluants qui leur sont associées. Ces scénarios sont : 1) Le statu quo; 2) Le hasard : chaque élève est assigné aléatoirement à n’importe laquelle école dans le district (ce scénario équivaut au libre-choix poussé à l’extrême); 3) Seulement dans le voisinage : chaque élève qui fréquente une école à l’extérieur de son voisinage est assigné à l’école la plus près de la maison; 4) Le choix régional : le district serait divisé en trois zone et les élèves devraient fréquenter une école dans la zone correspondant à leur lieu de résidence; 5) Augmentation de la marche : chaque élève vivant à moins d’un mile de l’école se rendrait à l’école à pied, mais ils pourraient fréquenter n’importe laquelle école.
Sans surprise, le scénario #5 faisait évidemment bien meilleure figure que le statut quo dans le contexte actuel. Toutefois, les résultats de la simulation indiquent que le scénario #3 serait, et de loin, le plus efficace, autant pour réduire les coûts du transport scolaire que pour réduire les émissions de tous les sources de polluants considérées (CO2, CO, NOx, etc.). Il aurait toutefois été intéressant d'évaluer une combinaison des scénarios 4 et 5 (une augmentation considérable du transport actif combinée a une limite non draconienne du choix de l'école), car un tel scénario m'apparaît plus réaliste dans le contexte actuel.
Questionné à savoir si ces dépenses vont encourager l’étalement urbain, M. Hamad a répondu en langue de bois : « la circulation a augmenté» depuis les années 1960 et qu'«il y a un besoin ». La solution proposée par le gouvernement équivaut carrément à se tirer une balle dans le pied ! Puisque le Québec n’est présentement pas un producteur de pétrole, il doit importer cette ressource au coût astronomique de plus de 10 milliards par année. D’ailleurs, plusieurs acteurs de l’industrie pétrolière croient que le jour où l’essence coûtera 5$ le litre n’est pas très loin (donc les coûts pourraient atteindre les 40 milliards d’ici la fin de la décennie).
Il me semble donc que les projets d’expansion du réseau autoroutier représentent un gaspillage pur et simple de l’argent des contribuables. C’est sans compter les impacts environnementaux de la dépendance au pétrole qui sont déjà bien connus, mais aussi des impacts négatifs de l’activité sédentaire associée au transport automobile (Frank et al., 2004) et à l’étalement urbain (Ewing et al., 2008). D’où l’importance de favoriser les transports alternatifs (marche, vélo, autobus, train, taxi, auto-partage, etc.).
J’accorde le mot de la fin à Einstein, dont la citation est particulièrement pertinente : « Vous ne pouvez résoudre un problème avec le même type de pensée qui a créé le problème ».
Références
Ewing, R., Schmid, T., Killingsworth, R., Zlot, A., Raudenbush, S. (2008). Relationship between urban sprawl and physical activity, obesity and morbidity. Urban Ecology, 567-582.
Frank, L.D., Andresen, M.A., Schmid, T.L. (2004). Obesity relationships with community design, physical activity, and time spent in cars. American Journal of Preventive Medicine. 27(2), 87-96.
Litman, T. (2010). Generated traffic and induced travel: implications for transport planning. Victoria Transport Policy Institute. http://www.vtpi.org/gentraf.pdf
Marshall, J.D., Wilson, R.D., Meyer, K.L., Ragangam, S.K., McDonald, N.C., Wilson, E.J. (2010). Vehicle emissions during children’s school commuting: Impacts of education policy. Environmental Science & Technology, 44, 1537-1543.
[1] J’utilise le mot « dépenses » au lieu « d’investissements » parce qu’il est bien connu que l’ajout de nouvelle voies ne règle que temporairement les problèmes de circulation. Après quelques années, on se retrouve avec les mêmes problèmes… avec en prime davantage d’asphalte et de pollution. Voir le texte de Todd Litman sur le trafic induit.
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