mercredi 16 octobre 2013

L’Ontario dévoile une stratégie pour la promotion du vélo

Il y a quelques semaines, le Ministère des transports de l’Ontario a dévoilé une stratégie provinciale pour promouvoir le vélo. Échelonnée sur 20 ans, la stratégie vise à faire en sorte que le vélo soit reconnu et respecté comme un important mode de transport qui procure aux individus et aux communautés de nombreux bienfaits pour la santé, l’économie, l’environnement et la cohésion sociale. La stratégie est articulée autour de cinq objectifs généraux, tels que décrits ci-dessous :

1)      Développer des communautés actives, prospères et en santé. L’objectif est de faire en sorte que l’Ontario soit reconnue comme leader Canadien en matière de vélo et soit parmi les 10 meilleures juridictions à travers le monde. Un autre objectif est qu’au moins une ville Ontarienne figure parmi les 10 villes les plus accessibles au vélo dans le monde.

2)      Améliorer les infrastructures cyclables pour faire en sorte que, dans la plupart des communautés Ontariennes, l’environnement bâti facilite le vélo pour tous les déplacements de moins de 5 kilomètres.

3)      Rendre le réseau cyclable plus sécuritaire pour les personnes de tous âges, visant un objectif de zéro décès et peu de blessures sérieuses.

4)      Sensibiliser la population au vélo et promouvoir le changement d’habitudes de transport.

5)      Développer davantage le cyclotourisme afin que l’Ontario possède un réseau cyclable provincial bien intégré (un peu comme la route verte au Québec).

Les moyens proposés pour atteindre ces objectifs sont les suivants (notez que certains sont redondants) :

a.      Augmenter les exigences quant à la place du vélo lorsque les plans de transport municipaux et régionaux sont révisés.

b.      Aider les municipalités à implanter des politiques sur les rues complètes.

c.       Aider les municipalités et les agences de transport à mieux intégrer le vélo aux réseaux de transport en commun.

d.     Mieux accommoder les vélos dans les bâtiments institutionnels, résidentiels et commerciaux.

e.      Développer un partenariat entre les municipalités et le gouvernement provincial pour subventionner le développement des infrastructures cyclables (un tel mécanisme existe déjà au Québec).

f.        Faire en sorte que l’obtention de financement soit conditionnelle à l’adhésion aux normes d’aménagement des infrastructures cyclables.

g.      Subventionner des projets pilotes d’infrastructures cyclables pour tester de nouvelles idées et récolter des données.

h.      Réduire les obstacles et accélérer les processus d’approbation pour le développement des infrastructures cyclables.

i.        Réviser et recommander les lois reliées au vélo d’après les études les plus récentes.

j.        Continuer à mieux éduquer tous les utilisateurs de la route quant aux règles de la circulation et à améliorer les habiletés des cyclistes.

k.      Travailler avec les services de polices pour améliorer la constance  dans l’application des lois existantes pour améliorer la sécurité à vélo.

l.        Lancer des campagnes de marketing social  à l’échelle provinciale pour encourager davantage de gens à faire du vélo plus souvent.

m.   Partager les meilleurs pratiques en matière de promotion du vélo.

n.      Encourager davantage d’éducation à la sécurité à vélo dans les écoles et les communautés.

o.      Promouvoir l’Ontario comme destination de premier plan pour le cyclotourisme.

p.     Identifier un réseau provincial d’infrastructures cyclables et l’employer pour prioriser de futurs investissements routiers visant à améliorer le réseau.

q.      Améliorer les connexions intermodales (i.e. entre le vélo et le transport en commun) en travaillant avec nos partenaires pour offrir des aménagements (i.e. lieux sécuritaires pour ranger les vélos, douches), des cartes du réseau cyclable et des applications pour s’orienter.

Dans son message d’introduction, le ministre des transports, Glen Murray, affirme « Les Ontariens nous ont dit qu’ils veulent des options de transport pratiques et abordables (…) qui utilisent moins de carburant, sont plus sécuritaires, entraînent moins de pollution et requièrent des infrastructures moins couteuses.  Les Ontariens veulent des options de transport qui améliorent la cohésion des quartiers et qui s’intègrent facilement dans l’environnement bâti de leur communauté. (…) Pour réaliser notre vision d’un Ontario plus accueillant envers les cyclistes, nous devons travailler en partenariat avec les autres ministères, les écoles, les agences de transport, les associations de cyclistes, les organisations touristiques, les automobilistes, les agences de santé publique et plusieurs autres. »

Ces paroles peuvent être accueillies avec certaines réserves car la représentativité de l’échantillon d’individus qui se sont prononcés à ce sujet n’est pas clairement démontrée dans le texte (le ministre fait allusion à un échantillon de 1000 personnes sans donner plus de détails). Il n’en demeure pas moins que ces paroles illustre une certaine volonté de la part du ministère de favoriser le vélo, mais également les autres modes de transport alternatifs (ex : marche, transport en commun).


Quelques commentaires…

D’après les données du recensement de 2006, la proportion des déplacements à vélo pour le travail était de 1,5% en Ontario, soit sensiblement la même que la moyenne fédérale de 1,3%. Compte tenu de la forte volonté de promouvoir davantage le vélo au sein de l’Union Européenne notamment, il faudrait au moins décupler cette proportion pour atteindre le top 10 à l’échelle mondiale. Près d’une dizaine de pays Européens atteignent déjà une proportion de 10% ou plus, et des taux bien plus élevés sont observés dans certaines juridictions. À ma connaissance, la seule ville Canadienne qui s’approche du seuil de 10% est Victoria en Colombie-Britannique. Il s’agit donc d’un objectif très ambitieux et je doute que les moyens proposés soient suffisants.

Pucher et Buehler (2008) ont analysé de façon détaillée les mesures qui ont permis d’augmenter la part modale du vélo aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne. Un de leurs principaux constats est que les villes qui ont connu le plus de succès ont employé simultanément la carotte et le bâton. Autrement dit, elles ont favorisé l’utilisation du vélo tout en rendant l’utilisation de la voiture moins attrayante (soit en diminuant l’offre de stationnements et/ou en augmentant  les coûts d’utilisation de l’automobile). Or, je n’ai noté aucune proposition visant à rendre l’utilisation de la voiture moins attrayante dans la stratégie Ontarienne.

Je suis particulièrement surpris qu’on ne propose pas, par exemple, d’augmenter légèrement la taxe sur l’essence pour subventionner le développement des infrastructures pour les transports alternatifs. Je suppose que la stratégie a été développée dans le but d’éviter les conflits avec le lobby automobile. Il n’en demeure pas moins que l’un des principaux facteurs qui motive les gens à ne pas utiliser le transport actif est qu’ils perçoivent la voiture comme le mode de transport le plus pratique (Faulkner et al., 2010; Gardner & Abraham, 2008). Il faudra tôt ou tard modifier cette perception. Devant l’énorme contribution du secteur du transport aux émissions de gaz à effet de serre et aux changements climatiques (Unger et al., 2010) et la prévalence croissante des maladies associées à un mode de vie insuffisamment actif (i.e. maladies cardiovasculaires, accidents cérébraux-vasculaires, diabète, etc.; voir Lee et al., 2012; United Nations, 2011), mieux vaut cesser de tergiverser.

D’après la théorie du comportement interpersonnel, les habitudes sont un facteur déterminant du comportement d’un individu (Triandis, 1977). Le mode de transport est un comportement fortement gouverné par les habitudes (Gardner & Abraham, 2008; Lemieux & Godin, 2009). Une des façons suggérées pour modifier une habitude bien ancrée est de modifier les conditions dans laquelle le comportement est devenu un automatisme (qui ne requiert plus de prise de décision consciente). D’où la pertinence de rendre l’utilisation de l’automobile moins pratique tout en améliorant significativement l’offre en matière de transports alternatifs.

L’objectif de zéro décès à vélo pour une population de plus de 12 millions d’habitants me semble davantage un idéal vers lequel on devrait tendre qu’un objectif réalisable. Cela dit, bien que certains décès puissent survenir, il est à noter que les bienfaits du vélo en matière de prévention de la mortalité sont beaucoup plus élevés que les risques. J’en ai discuté de façon plus détaillée dans ce billet. Une étude Danoise publiée dans la revue Archives of Internal Medicine  a également noté que, sur une période de suivi de près de 15 ans, les adultes qui allaient travailler à vélo présentaient un taux de mortalité de 40% inférieur à ceux qui y allaient à voiture (Andersen et al., 2000). C’est donc dire que, toutes autres choses étant égales par ailleurs, le vélo permet d’accroître l’espérance de vie.

Finalement, cette stratégie me fait penser à celle que la France a adoptée en 2012 à bien des égards. Notamment, les deux stratégies proposent des objectifs à long terme (sur une période de 8 ans pour la stratégie Française et 20 ans pour celle de l’Ontario), mais peu d’objectifs à court et moyen terme qui permettraient d’évaluer si le cheminement est satisfaisant d’année en année et d’apporter les corrections nécessaires si ce n’est pas le cas. Dans le cas de la stratégie Ontarienne, il est mentionné que des plans d’action plus concrets seront publiés cet automne ; en espérant que ce sera véritablement le cas…


Conclusion

En somme, la stratégie dévoilée par le Ministère des transports de l’Ontario est un pas dans la bonne direction, en attendant un plan d’action plus spécifique qui indiquera plus clairement les objectifs à court et moyen terme et qui précisera davantage à qui revient le rôle de mettre en place les moyens proposés pour promouvoir le vélo.


Références

Andersen LB, Schnohr P, Schroll M, Hein HO. All-cause mortality associated with physical activity during leisure time, work, sports, and cycling to work. Archives of Internal Medicine. 2000;160:1621-1628.

Gardner B, Abraham C. Psychological correlates of car use: a meta-analysis. Transportation Research Part F. 2008;11:300-11.

Faulkner GEJ, Richichi V, Buliung RN, Fusco C, Moola F. What’s “quickest and easiest?”: parental decision making about school trip mode. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity. 2010;7:62.

Lee IM, Shiroma EJ, Lobelo F, et al. Effect of physical inactivity on major non-communicable diseases worldwide: an analysis of burden of disease and life expectancy. Lancet. 2012;380(9838):219-229.

Lemieux M, Godin G. How well do cognitive and environmental variables predict active commuting? International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity. 2009;6(12).

Ontario Ministry of Transportation (2013). #CycleON: Ontario’s Cycling Strategy. http://www.mto.gov.on.ca/french/pubs/cycling/index.shtml

Pucher, J., & Buehler, R. (2008). Making cycling irresistible: Lessons from the Netherlands, Denmark and Germany. Transport Reviews, 28 (4), 495-528.

Triandis HC. Interpersonal behavior. Monterey: Brooks/Cole Publishing Company; 1977.

Unger, N., Bond T.C., Wang, J.S., Koch, D.M., Menon, S. et al. (2010). Attribution of climate forcing to economic sectors. Proceedings of the National Academy of Science, 107 (8), 3382-3387.

United Nations. (2011) Political Declaration of the United Nations High-level Meeting of the General Assembly on the Prevention and Control of Non-communicable Diseases. New York: United Nations. http://www.who.int/nmh/events/un_ncd_summit2011/political_declaration_en.pdf

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