Pourtant
la futilité d’élargir les autoroutes pour diminuer la congestion routière est
bien reconnue. J’en ai discuté à quelques reprises sur ce blogue, mais il
semblerait bien qu’un rappel s’impose…
Le
raisonnement de M. Labeaume semble fondé sur un paradigme qui fut en vogue dans
la 2è moitié du 20è siècle, mais qui est de plus en plus contesté, non
seulement en Scandinavie, mais également dans plusieurs juridictions
Nord-Américaines. Justement, le Ministère des Transport de l’Ontario vient
juste de publier une stratégie pour promouvoir le vélo[i]
dans laquelle on peut y lire :
« Suite à la 2è guerre mondiale, le
développement urbain a eu tendance à ségréger le zonage ; autrement dit,
on a construit des quartiers uniquement résidentiels avec aucun commerce ou des
quartiers commerciaux avec aucune résidence. Ceci a amené une augmentation de
la distance que les gens doivent parcourir de façon quotidienne, réduisant
ainsi la viabilité du vélo comme mode de transport. (…) Les impacts pour la
santé de la dépendance au transport motorisé incluent l’inactivité physique qui accroit le risque de maladies chroniques et
la pollution de l’air » (traduction libre)
Ces
constats sont en accord avec les connaissances scientifiques sur le sujet (pour
une synthèse de la littérature en français, voir Larouche et Trudeau, 2010, p.
232). De plus, ils s’appliquent autant au vélo qu’à la marche et au transport
en commun. En effet, dans les quartiers à faible densité, il est extrêmement
difficile de développer un réseau de transport en commun rentable et efficace.
Ce faisant, peu de gens utilisent le transport en commun et les coûts
augmentent, et ainsi de suite.
Si
bien qu’on se retrouve avec un problème de congestion routière qui coûte des
milliards par année aux contribuables et qui entraîne des pertes de
productivité pour les entreprises. L’élargissement des autoroutes est alors présenté
comme un antidote à la congestion routière par ceux qui défendent le statut
quo, soit l’omnipotence de l’automobile.
Or,
le remède proposé par M. Labeaume ne peut être efficace qu’à très court terme
parce qu’il n’a aucun effet sur les causes profondes de la congestion routière.
À très court terme, l’élargissement des autoroutes permet aux automobilistes de
réduire le temps nécessaire pour leurs déplacements. Il a cependant l’effet
pervers d’encourager les gens qui faisaient auparavant du co-voiturage ou qui utilisaient
d’autres modes de transport à se déplacer à voiture. Il encourage également les
gens à s’acheter une maison en banlieue où le marché immobilier est plus
abordable. L’étalement urbain qui en résulte fait en sorte que les options de
transport sont de plus en plus réduites. Le résultat est évident : il y a
une augmentation du nombre de déplacements à voiture et on revient à la case
départ, avec le même problème de congestion routière (c’est ce que les
urbanistes appellent le trafic induit; voir l’excellente synthèse de Litman
(2013) à ce sujet). C’est un peu comme un jeu de serpents et échelles, mais
avec beaucoup plus de serpents que d’échelles…
Ce
cercle vicieux fait en sorte que les individus consacrent une bonne partie de
leur temps et de leur argent à l’utilisation et l’entretien de leur voiture
(voir Tranter, 2012). Il exacerbe également des problèmes tels les accidents de
la route, la congestion routière, la déforestation, la pollution ainsi que la
sédentarité et les nombreux problèmes de santé qui y sont associés.
En d’autres mots,
M. Labeaume s’entête à vouloir régler le problème de la congestion routière
avec la recette même qui est à l’origine du problème, soit le développement
urbain axé d’abord et avant tout sur l’automobile !
Il
me semble donc tout à fait approprié de terminer ce texte avec les sages
paroles d’un des plus grands penseurs du 20è siècle : « On ne peut
pas résoudre un problème avec le même type de pensée que celle qui l’a créée »
(Albert Einstein).
Références
Larouche
R, Trudeau F. (2010). Études des impacts du transport actif sur la pratique d’activités
physiques et la santé et de ses principaux déterminants. Science & Sports, 25, 227-237.
Litman, T. (2013). Transportation and public health. Annual Reviews of Public Health, 34,
217-233.
Ontario Ministry of Transportation (2013). #CycleON: Ontario’s Cycling Strategy. http://www.mto.gov.on.ca/french/pubs/cycling/index.shtml
Tranter, P. (2012). Effective speed: cycling because
it’s “faster”. Dans J. Pucher & R. Buehler (Eds.), City Cycling (pp. 57-74). Cambridge
(Mass): MIT Press.
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/transports/201309/09/01-4687615-congestion-la-solution-de-labeaume-passe-par-lauto-avant-le-tramway.php
[i] Je
discuterai bientôt de cette stratégie de façon plus détaillée sur ce blogue.
Salut Richard, bel article! Même si les pistes cyclables "utilitaires" ne sont pas nombreuses au Québec et qu'il n'est jamais agréable de rouler près d'une voiture, vous avez au moins l'avantage des routes larges et surtout de place pour construire. Les choix politiques ne résident pas tant sur le manque d'espace que sur son utilisation.
RépondreSupprimerAprès 5 ans de déplacements actifs dans la Belle Province, le retour dans l'Hexagone avec notre beau parlé mais surtout notre inaction sur ce dossier me laisse comme un goût de diesel dans la bouche! Avec 3 "grands" constructeurs d'automobiles, un riche secteur pétrolier et une pléthore d'entreprises de BTP, il est plus rentable pour notre industrie d'investir dans les 4 roues motorisées... En attendant une vraie révolution de la mobilité douce, notre côté latin nous incite à multiplier les colloques et les communications sans agir pour autant.
Exemple des voies circulaires dédiées aux voitures de la région parisienne (12 millions d'habitants) : une ceinture routière intérieure (grands boulevards), une voie express la plus congestionnée d'Europe (boulevard périphérique), une autoroute pour la petite ceinture (A86), une voie rapide pour la grande ceinture (Francilienne). Où sont les pistes cyclables dans tout ça? Sur les voies de bus (surnommées les "couloirs de la mort"), sur les trottoirs et le long des voies rapides! Comme à Québec, c'est une question de choix politique, surtout lorsque des quartiers entiers sont en réfection (ex : http://www.paris.fr/accueil/accueil-paris-fr/un-nouveau-troncon-de-petite-ceinture-ouvre-au-public/rub_1_actu_134340_port_24329).
Encore félicitation pour ton doctorat et pour la qualité de tes articles.
Greg C.
Salut Greg, merci pour ton commentaire !
RépondreSupprimerJe penses que les Pays-Bas et le Danemark, avec leur densité de population bien plus grande que la France et le Québec, nous montrent bien que l'espace n'est pas le problème, mais plutôt la volonté politique...