Je voudrais réagir à un article trompeur de
l’agence de presse Presse Canadienne
paru dans plusieurs médias Québécois il y a quelques semaines dont notamment
Radio-Canada, L’Actualité, Le Devoir et La Presse. (Ça fait un bout de temps
que je mijote le billet d’aujourd’hui, mais j’ai été trop occupé dans les
dernières semaines…)
Cet article rapportait les résultats d’une
vaste étude Australienne parue dans la revue JAMA Internal Medicine et qui portait sur l’effet de la pratique
d’activités physiques sur le risque de mortalité prématuré (Gebel et al., sous
presse). La Presse Canadienne rapportait à tort que « Seule l’activité physique qui vous essouffle et vous couvre de sueur
permet d’éviter la mort prématurée, démontre une vaste étude australienne menée
auprès de gens d’âge moyen. » (sic) Ainsi, pour diminuer le risque de
mortalité prématurée, il serait essentiel de s’adonner à des activités
d’intensité élevée[i]
selon La Presse Canadienne.
Soyons
clairs : rien n’est plus faux ! L’activité
physique d’intensité moyenne réduit aussi le risque de mortalité prématurée (ce
qui a été observé dans au moins une centaine d’études longitudinales).
Examinons quand même ce que l’étude Australienne ajoute réellement aux
connaissances scientifiques sur le sujet.
Une
grosse étude incomprise…
D’abord, entre 2006 et 2009, pas moins de
204 542 adultes Australiens âgés de 45 à 75 ans ont répondu à un
questionnaire sur leur pratique d’activités physique. En juin 2014, les
chercheurs ont consulté le registre officiel des décès dans la province de New
South Wales où a eu lieu l’étude. Durant une période de suivi moyenne de 6,5
ans, 7435 participants sont décédés.
En contrôlant pour une série de variables
qui auraient pu affecter les résultats (dont l’âge au début de l’étude, le
sexe, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, l’indice de masse
corporelle, le tabagisme, la consommation d’alcool et la consommation de fruits
et légumes), les chercheurs ont noté que les
participants qui rapportaient au moins 150 minutes d’activité physique
d’intensité moyenne à élevée étaient environ 2 fois moins à risque d’être décédés
durant la période de suivi.
Ensuite, les chercheurs ont estimé le
pourcentage de l’activité physique rapportée par les participants qui était
effectué à une intensité élevée[ii]
(soit au moins 6 équivalents métaboliques – voir note de bas de page pour l’explication
de ce concept). Ils ont classifié leurs participants en 3 groupes soit :
1) ceux qui ne faisaient aucune activité d’intensité élevée; 2) ceux dont
l’activité d’intensité élevée représentait de 0 à 30% de la quantité d’activité
physique rapportée; et 3) ceux dont l’activité d’intensité élevée représentait
plus de 30% de la quantité d’activité physique rapportée.
Leurs résultats indiquent qu’indépendamment
du temps consacré aux activités d’intensité moyenne, les participants qui
faisaient davantage d’activité physique d’intensité élevé avaient un risque de
mortalité prématurée inférieur (soit de 9% et 13% pour les groupes 2 et 3
respectivement). Ces résultats indiquent que l’activité physique d’intensité
élevée amène des bienfaits additionnels pour la santé, mais contrairement à ce que prétend faussement l’article de la Presse
Canadienne, ils n’indiquent aucunement que l’activité physique d’intensité plus
faible n’a pas d’effet sur le risque de mortalité prématurée.
Qu’indiquent
les autres études sur le sujet?
Dans l’ensemble, les études sur le sujet illustrent
généralement ce qu’on appelle dans le jargon scientifique une relation dose-réponse curvilinéaire
entre la pratique d’activité physique et la diminution du risque relatif de
mortalité prématurée (Dishman et al., 2013; Kelly et al., 2014; Woodcock et
al., 2011).
Qu’est-ce que cela veut dire en français?
Que les bienfaits les plus importants de l’activité physique surviennent
lorsqu’on passe d’un mode de vie sédentaire à un mode de vie un peu plus actif.
À mesure qu’on augmente la durée, la fréquence (soit le nombre de séances par
semaine) ou l’intensité, le risque de mortalité prématurée continue à diminuer,
mais cette diminution devient graduellement de plus en plus lente. Il est tout
à fait normal qu’il en soit ainsi. Nous allons tous mourir un jour, que l’on
fasse le Tour de France ou non !
Pour les visuels, la figure ci-dessous
illustre une relation dose-réponse curvilinéaire et le risque de mortalité
prématurée (notez que la forme exacte de la courbe peut varier d’une étude à l’autre).
En combinant plusieurs études sur le sujet, Kelly et ses collègues (2014) ont
observé, auprès d’un échantillon combiné de plus de deux millions de
participants, qu’un adulte qui marche 170 minutes par semaine à une intensité
moyenne (ici 4 équivalents métaboliques – voir la note en bas de page pour
l’explication de ce concept) bénéficie d’une réduction d’environ 11% de son
risque de mortalité. En faisant une activité plus intense (aller travailler en
vélo à une intensité de 6,8 équivalents métaboliques), ça prend environ une
heure de moins par semaine pour obtenir une réduction comparable du risque de
mortalité prématurée d’après la même étude.
Cela dit, la morale de cette histoire,
c’est qu’il n’est pas nécessaire de pédaler comme un Lance Armstrong « boosté »
à l’érythropoïétine (EPO[iii])
pour que notre activité physique améliore notre santé et réduise notre risque
de mortalité prématurée.
C’est donc un message très positif et c’est
pour cette raison que j’ai été très déçu que l’article de la Presse Canadienne
obscurcisse inutilement le message qui commençait enfin à passer[iv]
après des décennies d’efforts en promotion de la santé.
“Is no pain, no
gain passé?”
Tel était le titre d’un article publié en
2001 dans le Journal of the American
Medical Association par la professeure I Min-Lee de l’école de santé
publique de l’Université Harvard qui visait justement à mettre les pendules à
l’heure.
Dans cette étude, 39 372
professionnelles de la santé ont rapporté leur pratique d’activités physiques
et, par la suite, elles ont été suivies durant 4 à 7 ans. Au total, 244 cas de
maladie coronarienne ont été recensés. Les femmes qui marchaient au moins 1
heure par semaine étaient 2 fois moins à risque de développer la maladie
coronarienne, peu importe leur vitesse de marche habituelle. L’activité
physique d’intensité élevée apportait sensiblement la même diminution du
risque. D’où le titre de l’article…
Conclusion
En conclusion, l’activité physique est
bénéfique pour la santé, qu’elle soit d’intensité faible, moyenne ou élevée.
Puisque je suppose que l’auteur de l’article de la Presse Canadienne a
abandonné la lecture de l’article de Gebel et ses collègues lorsqu’il était
question des modèles de régression proportionnels de Cox[v],
je vais insister sur la recommandation principale des auteurs :
« Donc, dans les futures lignes
directrices sur l’activité physique, il serait raisonnable d’encourager les
gens qui sont capables de s’adonner à des activités d’intensité élevée à le
faire en incluant des énoncés comme : « Si vous le pouvez, effectuez régulièrement des activités
d’intensité élevée pour obtenir des bienfaits supplémentaires pour la santé ».
Références
Dishman RK,
Heath GW, Lee I-M. Physical activity
epidemiology. Champaign, IL: Human Kinetics; 2013. 585p.
Gebel K,
Ding D, Chey T, Stamatakis E, Brown WJ, Bauman AE. Effect of moderate to
vigorous physical activity on all-cause mortality in middle-aged and older
Australians. JAMA Internal Medicine.
In press.
Kelly P,
Kahlmeier S, Götschi T, Orsini N, Richards J, Roberts N, Scarborough P, Foster
C. Systematic review and meta-analysis of reduction in all-cause mortality from
walking and cycling and shape of dose response relationship. International Journal of Behavioral
Nutrition and Physical Activity. 2014;11:132.
Lee I-M,
Rexrode KM, Cook NR, Manson JE, Buring JE. Physical activity and coronary heart
disease in women: Is “no pain, no gain” passé? Journal of the American Medical Association. 2001;285:1447-1454.
Woodcock
J,Franco OH, Orsini N, Roberts I. Non-vigorous physical activity and all-cause
mortality: systematic review and meta-analysis of cohort studies. International Journal of Epidemiology.
2011;40(1):121-138.
[i] Incorrectement traduit comme
activité physique vigoureuse – un faux-ami – dans l’article de la Presse
Canadienne. Désolé pour la longue note de bas de page, mais je crois qu’une
petite introduction à la mesure de l’intensité pourra aider certains lecteurs à
mieux comprendre mon texte d’aujourd’hui. Il y a essentiellement deux familles
de mesures de l’intensité de
l’activité physique. La méthode utilisée dans l’étude dont je discute
aujourd’hui est basée sur les équivalents
métaboliques (aussi appelés METs – de l’anglais metabolic equivalents). 1 MET équivaut à la dépense énergétique de
repos, soit lorsqu’on est assis devant le petit écran. Traditionnellement, on
utilise 3 catégories d’intensité, soit faible (moins de 3 METs), moyenne (3 à
5,99 METs) et élevée (6 METs et plus). Les lignes directrices Canadiennes sur
la pratique d’activité physique sont basées sur cette méthode. Elles
recommandent notamment aux adultes de faire au moins 150 minutes par semaine
d’activités physiques d’intensité moyenne à élevée (c’est-à-dire ≥ 3 METs). La
limite principale de cette méthode est que le nombre maximal de METs que l’on
peut atteindre dépend de sa condition physique. Par exemple, les meilleurs
skieurs de fonds, coureurs, triathlètes et cyclistes peuvent endurer environ 25
METs pendant quelques minutes, donc pour eux, 6 METs représente moins de 25% de
leur capacité maximale, une intensité qu’ils pourraient endurer durant plus de
24 heures consécutives ! Inversement, plusieurs personnes souffrant de maladies
chroniques comme l’insuffisance cardiaque ne peuvent endurer 6 METs que pendant
quelques secondes. L’autre façon de décrire l’intensité de l’activité physique
est de l’exprimer en fonction de la capacité maximale d’une personne ; on
parlera alors d’intensité relative.
Dans cette famille, on retrouve notamment la fréquence cardiaque maximale et la
consommation maximale d’oxygène (soit VO2max). Le désavantage des
mesures basées sur l’intensité relative est qu’il faut d’abord évaluer la
capacité maximale. Par contre, l’avantage indéniable est qu’une mesure
suffisamment précise de sa capacité maximale nous permettra de développer un
plan d’entraînement plus efficace pour améliorer sa condition physique.
[ii] Il est à noter que les chercheurs
n’ont pas tenu compte de l’activité physique d’intensité faible dans leurs
calculs.
[iii] Hormone qui stimule la production
de globules rouges, permettant ainsi de transporter plus d’oxygène vers les
muscles actifs.
[iv] Par exemple, je veux dire que les
gens commencent enfin à réaliser que la marche peut représenter une source
importante d’activité physique d’intensité moyenne.
[v] Il s’agit d’une des méthodes
statistiques les plus utilisées dans les analyses longitudinales dont l’objectif
est de comparer l’occurrence d’un évènement (ici, la mort) entre différent
groupes de personnes (ici, les adultes rapportant différents volumes d’activité
physique).
En passant, les auteurs de l'article ont publié un éditorial dans la revue Journal of Physical Activity and Health qui discute des mauvaises interprétations faites par plusieurs médias anglophones: http://journals.humankinetics.com/jpah-current-issue/jpah-volume-12-issue-4-april/vigorous-physical-activity-and-all-cause-mortality-a-story-that-got-lost-in-translation
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