samedi 25 janvier 2014

Un manifeste trompeur

Récemment, des personnalités Québécoises bien connues pour leur soutien à l’industrie pétrolière (notamment des anciens politiciens péquistes et libéraux dont Bernard Landry, Monique Jérôme-Forget et Joseph Facal, des représentants des chambres de commerce et de l’industrie) ont publié un manifeste intitulé « manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole ».

Plusieurs de ces auteurs ont également été co-auteurs du Manifeste pour un Québec lucide en 2005. Ce dernier manifeste, s’appuyant sur la dette nationale et le vieillissement de la population[i], proposait notamment des hausses de tarifs pour les services publics (d’où le cocktail plutôt indigeste que le parti libéral de Jean Charest nous a fait avaler entre 2005 et 2012) et une plus grande ouverture desdits services au secteur privé (ce qui semble une priorité de l’actuel chef libéral, Philippe Couillard).

Comme l’éditorialiste du Devoir, Bernard Descôteaux, il me semble que les signataires ne s’adressent au gouvernement provincial que sous forme rhétorique, le gouvernement de Pauline Marois ayant maintes fois mentionné son « préjugé favorable » (c’est son expression) à l’exploitation pétrolière (tout comme les deux principaux partis d’opposition). Il semble que le manifeste cherche avant tout à influencer le débat public sur la question. Pour cette raison, une analyse critique de leur discours s’impose.


Manque de rigueur…

Ma première réaction à la lecture du manifeste pro-pétrole fut le manque de rigueur. Les auteurs ne mentionnent que 6 sources, toutes issues de la « science » économique. Qui plus est, l’une de ces sources est faussement attribuée aux autorités de l’Ohio alors qu’il s’agit en réalité d’un rapport rédigé par une pétrolière. Au minimum, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils citent le 5è rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2013) pour décrire le contexte international dans lequel le débat sur l’exploitation pétrolière s’inscrit... Bref, ça commence mal !


Pas mieux au plan économique…

Si on pouvait s’attendre à ce que les militants pro-pétrole escamotent les questions reliées à la protection de l’environnement, j’ai été surpris de leur manque de rigueur au niveau des aspects économiques. Citant l’exemple de la Norvège, ils tentent de convaincre les lecteurs que l’exploitation pétrolière rapporterait des milliards de dollars par année au trésor public, permettrait de réduire les importations de pétrole et, en bout de ligne, de diminuer la dette nationale. Rien de moins !

Or, la compagnie pétrolière Statoil a longtemps appartenu à 100% à l’État Norvégien. Autrement dit, c’est au gouvernement que revenait TOUS les profits. C’est de cette façon que la Norvège s’est enrichi avec l’exploitation pétrolière[ii].

À l’opposé, ce sont des entreprises privées qui détiennent les droits d’exploitation pétrolière au Québec gracieuseté du gouvernement d'un dénommé Bernard Landry qui était au pouvoir lors de la vente des droits d’exploration pétrolière.

Puisque la raison d’être des entreprises privées est de faire des profits, les redevances qu’elles verseraient à l’État seraient inférieures aux revenus que l’État obtiendrait en exploitant lui-même ses ressources. En somme, la comparaison du Québec et de la Norvège proposée dans ce manifeste ne tient pas la route.


Des gisements hypothétiques…

D’autre part, il est loin d’être acquis que l’exploitation des ressources pétrolières Québécoises soit une opération profitable au point de vue économique. D’après le docteur Marc Durand, ingénieur spécialisé en géologie, les investissements nécessaires pour récolter le pétrole contenu dans le gisement de l’île d’Anticosti pourrait être supérieurs aux bénéfices que les pétrolières pourrait récolter. Il estime qu’il en coûterait environ 120 milliards de dollars pour récolter une valeur de 50 milliards.

Il serait injustifié de s’empresser à exploiter ce pétrole à l’aveuglette tout en risquant qu’il y ait un déversement de pétrole dans la zone sensible qu’est le Golfe du Saint-Laurent. Un récent rapport commandé par le gouvernement indique justement qu’on ne possède pas les connaissances nécessaires pour réagir de façon appropriée à un possible déversement dans le Golfe. Suivant le principe de précaution, un moratoire sur l'exploitation pétrolière devrait être décrété tant que ces connaissances ne sont pas acquises.

Quant au gisement Haldimand situé sur le territoire de la ville de Gaspé,  il contiendrait la quantité de pétrole que les Québécois utilisent actuellement en 3 semaines. Qui plus est, les opérations de fracturation hydraulique requises pour l’extraction de ce type de pétrole risqueraient de contaminer les sources d’eau potable de la ville de Gaspé. La sécurité du processus d'extraction devrait être démontrée hors de tout doute raisonnable avant de donner le feu vert à l'exploitation.

En bout de ligne, si les ressources pétrolières du Québec demeurent hypothétiques, les risques eux sont bien réels. La tragédie du Lac-Mégantic en est un exemple parmi tant d’autres… qui a failli se reproduire au Nouveau-Brunswick, gracieuseté du laxisme des transporteurs privées avides de profits.


Un point à retenir…

S’il y a une chose à retenir de ce fameux manifeste, c’est que l’importation de pétrole coûte très cher au Québec, soit de 11 à 14 milliards de dollars annuellement. Cependant, au lieu de s’empresser à exploiter des gisements hypothétiques qui ne répondraient probablement pas à la demande actuelle de pétrole de façon durable, il me semble qu’on devrait plutôt chercher des solutions pour réduire notre consommation de pétrole.

D’ailleurs, les lecteurs réguliers de ce blogue  sauront qu’il existe de nombreuses façons de réduire l’utilisation de pétrole, notamment pour ce qui est du secteur des transports qui est à lui seul responsable de près de 45% des émissions de gaz à effet de serre au Québec.


Conclusion

Finalement, dans leurs manœuvres rhétoriques pour se dédouaner d’un examen approfondi des questions environnementales, les signataires du manifeste traitent de rêveurs les gens qui croient qu’on peut se passer de l’exploitation pétrolière en sol Québécois. Pour ma part, je me demande qui sont ceux qui rêvent en couleur dans cette histoire. Ne serait-ce pas ces signataires qui endossent les promesses de l’industrie pétrolière comme parole d’Évangile?


Références

5e Rapport du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat. Climate change 2013. The Physical Science Basis. (En anglais). http://www.ipcc.ch/report/ar5/wg1/#.UtMyW555M1L

Durand, Marc. Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec. Mémoire déposé à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.









[i] Ironiquement, leur nouveau manifeste s’appuie sur les mêmes prémisses pour que l’on « tire profit collectivement de notre pétrole », ce qui nécessiterait que l’État exige davantage de redevances à l’industrie.
[ii] On ne peut toutefois pas dire que le modèle Norvégien est un exemple à suivre au niveau environnemental.

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