Mais
pour cela, il faut faire un petit voyage dans le temps (au sens figuré) jusqu’à
la révolution Cubaine. En effet, suite à cette révolution, les États-Uniens ont
imposé un strict embargo économique à Cuba, ce qui amena la république Cubaine
à se tourner vers l’Union Soviétique comme allié stratégique. Je vous
épargnerai les détails de la crise des missiles de 1962… L’élément qui importe
de retenir pour l’histoire d’aujourd’hui est plutôt l’effondrement de l’Union
Soviétique qui était le principal partenaire économique de Cuba et, plus
spécifiquement, son principal fournisseur de pétrole.
Avant
cet effondrement, Cuba échangeait une tonne de sucre pour 8 tonnes de pétrole
soviétique, mais au début des années 1990 le prix du sucre a chuté
dramatiquement. Flairant l’occasion d’affaiblir leur rival politique, les
États-Unis ont rapidement profité de la situation. En 1993, le président Bill
Clinton a accepté d’offrir un plan d’aide au gouvernement Russe assortit de la
condition suivante : que Moscou cesse ses exportations de pétrole à Cuba. Dans
les années suivantes, Cuba a connu une pénurie de carburant, d’engrais et de
nourriture. Tel fut le début de la « période spéciale » Cubaine
(Roberts et Edwards, 2010).
Si
l’on peut reprocher au gouvernement Castro d’avoir utilisé un langage qui
minimisait la réalité, force est de reconnaître qu’il a mis en place une
stratégie astucieuse pour affronter cette crise en minimisant grandement ses
impacts sur la santé de la population, même que les impacts furent davantage
positifs...
La vélorution Cubaine…
Le
gouvernement Cubain commanda alors un million de vélos à la Chine. Ces vélos
furent vendus aux étudiants pour 60 pesos et aux travailleurs pour 120 pesos.
Par la suite, les Cubains ont construit des usines pour assembler eux-mêmes
500 000 vélos supplémentaires dans les 5 années suivantes.
Le
choix du vélo est très sensé parce qu’il s’agit du mode de transport le plus
efficace mécaniquement. On estime que pour une personne moyenne, la quantité
d’énergie requise pour marcher un kilomètre sur terrain plat sans vent est de
50 calories tandis qu’à vélo, c’est environ 20 calories. Quant à la voiture,
c’est environ 1860 calories par mille sous forme d’énergie fossile (Roberts et
Edwards, 2010), soit 1162,5 calories/km. [i]
Donc, avec la même quantité d’énergie, il est possible de parcourir 2,5 km à
vélo, 1 km à pieds et… environ 43 mètres en
voiture. Le vélo est aussi
beaucoup plus rapide que la marche : une personne moyenne prendra environ
3-4 minutes pour parcourir un kilomètre à vélo alors qu’il en faudrait une
dizaine à pieds.
Les impacts sur la santé…
D’abord,
la « période spéciale » a eu des impacts majeurs au niveau de la pratique
d’activités physiques et de l’alimentation : la proportion d’individus
suffisamment actifs est passée de 30 à 67% tandis que la quantité de calories
consommées a diminué de 2899 à 1863 calories/jour entre 1991 et 1995. Ainsi, le
taux d’obésité a diminué de moitié, passant de 14 à 7%.
La
« période spéciale » a entraîné une diminution de 50% de la mortalité associée
au diabète. Des diminutions de l’ordre de 35%, 20% et 18% ont aussi été
observées respectivement pour la maladie coronarienne, les accidents
vasculaires cérébraux et la mortalité totale. Ces effets ont principalement été
notés entre 1997 et 2002 (c’est normal qu’il y ait une période de latence entre
un changement des habitudes de vie et les effets sur la mortalité due aux
maladies chroniques qui, par définition, se développent lentement).
Il
n’y a pas eu que des effets positifs ; en 1992-1993, 50 000 cas d’une rare
neuropathie causée par des carences vitaminiques ont été recensés. Toutefois,
l’impact de cette maladie a été limité considérablement par l’implantation d’un
système de ration « spécial » pour les personnes plus
vulnérables, soit les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Il
va sans dire que ce système nécessitait une grande cohésion sociale.
En
somme, les impacts positifs ont été plus importants que les impacts négatifs,
malgré les difficultés économiques. Il est à noter que la diminution de la
mortalité associée aux maladies chroniques aurait pu être encore plus grande
n’eut été de la grave pénurie alimentaire. Les principales sources de
nourriture pendant cette période étaient le riz et la canne à sucre ; ce n’est pas
un régime optimal pour prévenir ou – pire encore – pour traiter le diabète. Il
y a aussi eu une pénurie de médicaments pour traiter les maladies chroniques…
Les
principaux impacts sur la santé de la « période spéciale » ont fait l’objet de plusieurs articles
scientifiques, notamment dans l’American
Journal of Epidemiology et le Journal
de l’Association Médicale Canadienne (Franco et al., 2007, 2008).
Cet
exemple historique illustre le rôle que le vélo peut jouer pour favoriser la
résilience d’une population lors d’une grave crise économique doublée d’une
pénurie de nourriture et de médicaments. Heureusement, il n’est pas nécessaire
qu’il y ait une telle crise pour profiter des bienfaits du vélo !
Références
Franco
M, Ordunez P, Caballero B. et al. (2007). Impact of energy intake, physical activity and population-wide
weight loss on cardiovascular disease and diabetes mortality in Cuba,
1980-2005. American Journal of
Epidemiology, 166(12), 1374-1380.
Franco M, Ordunez P, Caballero B, Cooper RS. (2008).
Obesity reduction and its possible consequences: what can we learn from Cuba’s
Special Period. Canadian Medical
Association Journal, 178(8), 1032-1034.
Roberts I, Edwards P. (2010). The energy glut: the politics of fatness in an overheating world.
London: Zed Books.
[i] On
peut comprendre pourquoi, juste avant la crise économique de 2008 et alors
qu’il était grièvement malade, Fidel Castro s’est opposé vigoureusement à la
production de bioéthanol pour propulser les voitures à partir de maïs…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire