mardi 18 décembre 2012

Une période spéciale...

Comme vous le savez certainement, ce sera bientôt le temps des fêtes. En Occident, cette période de l’année est une période spéciale, mais aujourd’hui il sera question d’une autre « période spéciale », celle de Cuba.

Mais pour cela, il faut faire un petit voyage dans le temps (au sens figuré) jusqu’à la révolution Cubaine. En effet, suite à cette révolution, les États-Uniens ont imposé un strict embargo économique à Cuba, ce qui amena la république Cubaine à se tourner vers l’Union Soviétique comme allié stratégique. Je vous épargnerai les détails de la crise des missiles de 1962… L’élément qui importe de retenir pour l’histoire d’aujourd’hui est plutôt l’effondrement de l’Union Soviétique qui était le principal partenaire économique de Cuba et, plus spécifiquement, son principal fournisseur de pétrole.

Avant cet effondrement, Cuba échangeait une tonne de sucre pour 8 tonnes de pétrole soviétique, mais au début des années 1990 le prix du sucre a chuté dramatiquement. Flairant l’occasion d’affaiblir leur rival politique, les États-Unis ont rapidement profité de la situation. En 1993, le président Bill Clinton a accepté d’offrir un plan d’aide au gouvernement Russe assortit de la condition suivante : que Moscou cesse ses exportations de pétrole à Cuba. Dans les années suivantes, Cuba a connu une pénurie de carburant, d’engrais et de nourriture. Tel fut le début de la « période spéciale » Cubaine (Roberts et Edwards, 2010).

Si l’on peut reprocher au gouvernement Castro d’avoir utilisé un langage qui minimisait la réalité, force est de reconnaître qu’il a mis en place une stratégie astucieuse pour affronter cette crise en minimisant grandement ses impacts sur la santé de la population, même que les impacts furent davantage positifs...


La vélorution Cubaine…

Le gouvernement Cubain commanda alors un million de vélos à la Chine. Ces vélos furent vendus aux étudiants pour 60 pesos et aux travailleurs pour 120 pesos. Par la suite, les Cubains ont construit des usines pour assembler eux-mêmes 500 000 vélos supplémentaires dans les 5 années suivantes.

Le choix du vélo est très sensé parce qu’il s’agit du mode de transport le plus efficace mécaniquement. On estime que pour une personne moyenne, la quantité d’énergie requise pour marcher un kilomètre sur terrain plat sans vent est de 50 calories tandis qu’à vélo, c’est environ 20 calories. Quant à la voiture, c’est environ 1860 calories par mille sous forme d’énergie fossile (Roberts et Edwards, 2010), soit 1162,5 calories/km. [i] Donc, avec la même quantité d’énergie, il est possible de parcourir 2,5 km à vélo, 1 km à pieds et… environ 43 mètres en voiture. Le vélo est aussi beaucoup plus rapide que la marche : une personne moyenne prendra environ 3-4 minutes pour parcourir un kilomètre à vélo alors qu’il en faudrait une dizaine à pieds.


Les impacts sur la santé…

D’abord, la « période spéciale » a eu des impacts majeurs au niveau de la pratique d’activités physiques et de l’alimentation : la proportion d’individus suffisamment actifs est passée de 30 à 67% tandis que la quantité de calories consommées a diminué de 2899 à 1863 calories/jour entre 1991 et 1995. Ainsi, le taux d’obésité a diminué de moitié, passant de 14 à 7%.

La « période spéciale » a entraîné une diminution de 50% de la mortalité associée au diabète. Des diminutions de l’ordre de 35%, 20% et 18% ont aussi été observées respectivement pour la maladie coronarienne, les accidents vasculaires cérébraux et la mortalité totale. Ces effets ont principalement été notés entre 1997 et 2002 (c’est normal qu’il y ait une période de latence entre un changement des habitudes de vie et les effets sur la mortalité due aux maladies chroniques qui, par définition, se développent lentement).

Il n’y a pas eu que des effets positifs ; en 1992-1993, 50 000 cas d’une rare neuropathie causée par des carences vitaminiques ont été recensés. Toutefois, l’impact de cette maladie a été limité considérablement par l’implantation d’un système de ration « spécial » pour les personnes plus vulnérables, soit les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Il va sans dire que ce système nécessitait une grande cohésion sociale.

En somme, les impacts positifs ont été plus importants que les impacts négatifs, malgré les difficultés économiques. Il est à noter que la diminution de la mortalité associée aux maladies chroniques aurait pu être encore plus grande n’eut été de la grave pénurie alimentaire. Les principales sources de nourriture pendant cette période étaient le riz et la canne à sucre ; ce n’est pas un régime optimal pour prévenir ou – pire encore – pour traiter le diabète. Il y a aussi eu une pénurie de médicaments pour traiter les maladies chroniques…

Les principaux impacts sur la santé de la « période spéciale »  ont fait l’objet de plusieurs articles scientifiques, notamment dans l’American Journal of Epidemiology et le Journal de l’Association Médicale Canadienne (Franco et al., 2007, 2008).

Cet exemple historique illustre le rôle que le vélo peut jouer pour favoriser la résilience d’une population lors d’une grave crise économique doublée d’une pénurie de nourriture et de médicaments. Heureusement, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une telle crise pour profiter des bienfaits du vélo !

 
Références

Franco M, Ordunez P, Caballero B. et al. (2007). Impact of energy intake, physical activity and population-wide weight loss on cardiovascular disease and diabetes mortality in Cuba, 1980-2005. American Journal of Epidemiology, 166(12), 1374-1380.

Franco M, Ordunez P, Caballero B, Cooper RS. (2008). Obesity reduction and its possible consequences: what can we learn from Cuba’s Special Period. Canadian Medical Association Journal, 178(8), 1032-1034.

Roberts I, Edwards P. (2010). The energy glut: the politics of fatness in an overheating world. London: Zed Books.


[i] On peut comprendre pourquoi, juste avant la crise économique de 2008 et alors qu’il était grièvement malade, Fidel Castro s’est opposé vigoureusement à la production de bioéthanol pour propulser les voitures à partir de maïs…

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