Récemment,
des personnalités Québécoises bien connues pour leur soutien à l’industrie
pétrolière (notamment des anciens politiciens péquistes et libéraux dont
Bernard Landry, Monique Jérôme-Forget et Joseph Facal, des représentants des
chambres de commerce et de l’industrie) ont publié un manifeste intitulé
« manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole ».
Plusieurs
de ces auteurs ont également été co-auteurs du Manifeste pour un Québec lucide en 2005. Ce dernier manifeste,
s’appuyant sur la dette nationale et le vieillissement de la population[i],
proposait notamment des hausses de tarifs pour les services publics (d’où le
cocktail plutôt indigeste que le parti libéral de Jean Charest nous a fait
avaler entre 2005 et 2012) et une plus grande ouverture desdits services au
secteur privé (ce qui semble une priorité de l’actuel chef libéral, Philippe Couillard).
Comme
l’éditorialiste du Devoir, Bernard Descôteaux, il me semble que les signataires
ne s’adressent au gouvernement provincial que sous forme rhétorique, le
gouvernement de Pauline Marois ayant maintes fois mentionné son « préjugé
favorable » (c’est son expression) à l’exploitation pétrolière (tout comme
les deux principaux partis d’opposition). Il semble que le manifeste cherche
avant tout à influencer le débat public sur la question.
Pour cette raison, une analyse critique de leur discours s’impose.
Manque de rigueur…
Ma
première réaction à la lecture du manifeste pro-pétrole fut le manque de
rigueur. Les auteurs ne mentionnent que 6 sources, toutes issues de la
« science » économique. Qui plus est, l’une de ces sources est
faussement attribuée aux autorités de l’Ohio alors qu’il s’agit en réalité d’un
rapport rédigé par une pétrolière. Au minimum, on aurait pu s’attendre à ce
qu’ils citent le 5è rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC, 2013) pour décrire le contexte international dans lequel le débat sur
l’exploitation pétrolière s’inscrit... Bref, ça commence mal !
Pas mieux au plan
économique…
Si
on pouvait s’attendre à ce que les militants pro-pétrole escamotent les questions
reliées à la protection de l’environnement, j’ai été surpris de leur manque de
rigueur au niveau des aspects économiques. Citant l’exemple de la Norvège, ils
tentent de convaincre les lecteurs que l’exploitation pétrolière rapporterait
des milliards de dollars par année au trésor public, permettrait de réduire les
importations de pétrole et, en bout de ligne, de diminuer la dette nationale.
Rien de moins !
Or,
la compagnie pétrolière Statoil a longtemps appartenu à 100% à l’État
Norvégien. Autrement dit, c’est au gouvernement que revenait TOUS les profits.
C’est de cette façon que la Norvège s’est enrichi avec l’exploitation
pétrolière[ii].
À
l’opposé, ce sont des entreprises privées qui détiennent les droits
d’exploitation pétrolière au Québec gracieuseté du gouvernement d'un dénommé Bernard Landry qui était au pouvoir lors de la vente des droits d’exploration
pétrolière.
Puisque
la raison d’être des entreprises privées est de faire des profits, les
redevances qu’elles verseraient à l’État seraient inférieures aux revenus que
l’État obtiendrait en exploitant lui-même ses ressources. En somme, la
comparaison du Québec et de la Norvège proposée dans ce manifeste ne tient pas
la route.
Des gisements
hypothétiques…
D’autre
part, il est loin d’être acquis que l’exploitation des ressources pétrolières
Québécoises soit une opération profitable au point de vue économique. D’après le
docteur Marc Durand, ingénieur spécialisé en géologie, les investissements
nécessaires pour récolter le pétrole contenu dans le gisement de l’île
d’Anticosti pourrait être supérieurs aux bénéfices que les pétrolières pourrait
récolter. Il estime qu’il en coûterait environ 120 milliards de dollars pour
récolter une valeur de 50 milliards.
Il
serait injustifié de s’empresser à exploiter ce pétrole à l’aveuglette tout en
risquant qu’il y ait un déversement de pétrole dans la zone sensible qu’est le
Golfe du Saint-Laurent. Un récent rapport commandé par le gouvernement indique
justement qu’on ne possède pas les connaissances nécessaires pour réagir de
façon appropriée à un possible déversement dans le Golfe. Suivant le principe de précaution, un moratoire sur l'exploitation pétrolière devrait être décrété tant que ces connaissances ne sont pas acquises.
Quant
au gisement Haldimand situé sur le territoire de la ville de Gaspé, il contiendrait la quantité de pétrole que les
Québécois utilisent actuellement en 3 semaines. Qui plus est, les opérations de
fracturation hydraulique requises pour l’extraction de ce type de pétrole
risqueraient de contaminer les sources d’eau potable de la ville de Gaspé. La sécurité du processus d'extraction devrait être démontrée hors de tout doute raisonnable avant de donner le feu vert à l'exploitation.
En
bout de ligne, si les ressources pétrolières du Québec demeurent hypothétiques,
les risques eux sont bien réels. La tragédie du Lac-Mégantic en est un exemple
parmi tant d’autres… qui a failli se reproduire au Nouveau-Brunswick,
gracieuseté du laxisme des transporteurs privées avides de profits.
Un point à retenir…
S’il
y a une chose à retenir de ce fameux manifeste, c’est que l’importation de
pétrole coûte très cher au Québec, soit de 11 à 14 milliards de dollars
annuellement. Cependant, au lieu de s’empresser à exploiter des gisements
hypothétiques qui ne répondraient probablement pas à la demande actuelle de pétrole de
façon durable, il me semble qu’on devrait plutôt chercher des solutions pour
réduire notre consommation de pétrole.
D’ailleurs,
les lecteurs réguliers de ce blogue
sauront qu’il existe de nombreuses façons de réduire l’utilisation de
pétrole, notamment pour ce qui est du secteur des transports qui est à lui seul
responsable de près de 45% des émissions de gaz à effet de serre au Québec.
Conclusion
Finalement,
dans leurs manœuvres rhétoriques pour se dédouaner d’un examen approfondi des
questions environnementales, les signataires du manifeste traitent de rêveurs
les gens qui croient qu’on peut se passer de l’exploitation pétrolière en sol
Québécois. Pour ma part, je me demande qui sont ceux qui rêvent en couleur dans
cette histoire. Ne serait-ce pas ces signataires qui endossent les promesses de
l’industrie pétrolière comme parole d’Évangile?
Références
5e Rapport du groupe intergouvernemental sur
l’évolution du climat. Climate change 2013. The Physical Science Basis. (En
anglais). http://www.ipcc.ch/report/ar5/wg1/#.UtMyW555M1L
Durand, Marc. Les hypothétiques gisements
d’hydrocarbures non conventionnels au Québec. Mémoire déposé à la Commission
sur les enjeux énergétiques du Québec.
[i] Ironiquement, leur nouveau manifeste s’appuie sur les mêmes
prémisses pour que l’on « tire profit collectivement de notre
pétrole », ce qui nécessiterait que l’État exige davantage de redevances à
l’industrie.
[ii] On ne peut toutefois pas dire que le modèle Norvégien est un
exemple à suivre au niveau environnemental.
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