Le débat sur les lois concernant le port du casque de vélo se
caractérise souvent en un affrontement entre d’un côté, des gens qui veulent
maximiser la sécurité à tout prix et, de l’autre, des libertaires qui refusent
systématiquement toute contrainte aux libertés individuelles.
Malgré tout, peu d’États ont adopté des lois rendant le port du casque.
À ma connaissance, de telles lois ne sont en vigueur pour l’ensemble de la
population qu’en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique. En
Ontario et dans certains états Américains, les jeunes de moins de 18 ans
doivent obligatoirement porter un casque (mais il est possible de constater un
certain laisser-aller dans l’application du règlement, du moins en Ontario),
tandis qu’un règlement similaire a été adopté en 2011 par la ville de
Sherbrooke au Québec.
L’idée derrière les règlements est que, ceteris paribus, si tous les cyclistes portaient un casque (qui
répond aux normes de sécurité établies et qui est positionné adéquatement, bien
entendu), il devrait y avoir une réduction du nombre de blessures à la tête.
Dès lors, il est primordial de se demander si le fameux ceteris paribus tient la route.
Il y a quelques mois, j’ai écrit un billet sur ce blogue discutant de
l’efficacité des règlements sur le port du casque. Ce billet était basé en
partie sur une revue systématique des études longitudinales avec groupe témoin
qui a été publiée dans la réputée base de données Cochrane (MacPherson et Spinks,
2009). Les principales conclusions étaient les suivantes : 1) Le port du
casque entraîne une modeste diminution des blessures à la tête; 2) Les études
publiées jusqu’à maintenant avaient des limites importantes, dont notamment le
fait de ne pas avoir examiné l’impact de ces règlements sur la pratique du
vélo; et 3) Les règlements obligeant le port du casque ne sont qu’une mesure
parmi tant d’autres pour réduire le risque de blessures à la tête.
Les
tendances Océaniennes
Dans le billet d’aujourd’hui, je vais me concentrer sur la conclusion
#2. En fait, les défenseurs des règlements obligeant le port du casque
prétendent fréquemment qu’il n’y a aucune preuve qui démontre que lesdits
règlements diminuent la pratique du vélo. Or, les résultats de plusieurs études Océaniennes
indiquent précisément le contraire d’après la recension des écrits d’un nouvel
article des professeurs Rissel et Wen (2011) paru en décembre dans Health Promotion Journal of Australia.
En Australie, le règlement a été adopté en 1991 et il a entraîné des
diminutions de :
-
25 à 38% du nombre de cyclistes en Australie
Occidentale;
-
47% du nombre de jeunes qui vont à l’école à vélo dans
la province du New South Wales (la plus populeuse du pays);
-
29% du nombre d’adultes qui font du vélo à Melbourne
(et 42% chez les enfants)
En Nouvelle-Zélande, le règlement a été adopté en 1994 et il y a eu une
diminution de 51% du nombre de trajets effectués à vélo entre 1989-1990 et
2003-2006. D’ailleurs, cette diminution a même été accompagnée d’une
augmentation du risque de blessures chez les cyclistes (Tin Tin et al., 2011).
Le principe du risque dans la rareté (risk in scarcity), c’est-à-dire qu’un mode de transport devient
plus dangereux lorsqu’il devient plus rare, est la principale explication
avancée par ces auteurs. Les lecteurs assidus auront deviné qu’il s’agit du
corollaire du principe de sécurité du nombre (safety in numbers)…
Pour tenter d’expliquer le manque d’efficacité de ces règlements sur les
taux de blessures, d’autres chercheurs (ex : Robinson, 2006) suggèrent que
les gens pourraient être portés à prendre plus de risques lorsqu’ils portent un
casque. Un chercheur Britannique a observé directement la distance que les
automobilistes accordent lorsqu’ils dépassent un cycliste (Walker, 2007). Ses
résultats indiquent que les automobilistes laissaient moins d’espace lorsqu’ils
dépassent un cycliste casqué, augmentant ainsi le risque de collision.
Et si on
retournait en arrière ?
Dans leur nouvelle étude, Rissel et Wen (2011) ont posé la question
inverse : qu’adviendrait-il si le règlement obligeant le port du casque
était aboli à Sydney? Pour ce faire, ils ont interrogé 600 individus au
téléphone. Leurs résultats indiquent que
même si le règlement était aboli, près de 50% des individus ne feraient pas de
vélo sans casque. Il est aussi intéressant de constater que les gens qui
étaient les plus favorables au maintien du règlement étaient ceux qui
affirmaient qu’ils ne faisaient jamais de vélo ! Les chercheurs supposent que
c’est parce qu’ils ont été convaincus que le vélo est dangereux, étant donné
que certains médias de Sydney font une couverture plutôt sensationnaliste des
accidents (comme ici d’ailleurs !).
Cependant, le résultat principal de cette étude est que 22,6% des
individus interrogés affirment qu’ils feraient davantage de vélo. Cette
proportion était plus élevée chez ceux qui faisaient du vélo entre une fois par
mois et quelques fois par semaine. Même si seulement la moitié des gens
passaient de la parole à l’action, ceci aurait des impacts considérables sur la
part modale du vélo, la congestion routière, la pollution atmosphérique et la
pratique d’activités physiques. Des impacts positifs négligés par la plupart
des études portant sur les fameux règlements…
En
conclusion
L’intention de promouvoir le port du casque de vélo dans le but de
réduire les blessures à la tête n’est pas mauvaise à la lumière des résultats
de la revue Cochrane. Par contre, les règlements obligeant le port du casque
ont des effets pervers qu’il ne faut pas négliger. Une approche plus nuancée,
ou l’on mettrait l’accent principalement sur la promotion des bienfaits du vélo
(dans l’optique de changer la norme sociale), sur le développement
d’infrastructures cyclables attrayantes, pratiques et sécuritaires, sur la
sensibilisation des cyclistes et des automobilistes au partage de la route et
sur une application plus rigoureuse des limites de vitesse serait préférable. La
promotion du port du casque (sans qu’il n’y ait obligation) peut faire partie
d’une telle stratégie, mais dans un rôle secondaire et en évitant le
sensationnalisme et l’exagération du risque.
Références
Macpherson A, Spinks A (2009). Bicycle helmet legislation for the uptake
of helmet use and prevention of head injuries. Cochrane Database of
Systematic Reviews. http://www.thecochranelibrary.com/SpringboardWebApp/userfiles/ccoch/file/Safety_on_the_road/CD005401.pdf
Rissel C, Wen LM (2011). The possible effect on frequency of cycling if
mandatory bicycle helmet legislation was repealed in Australia : a cross-sectional
survey. Health Promotion Journal of Australia ,
22 (3), 178-183.
Robinson, DR (2006). No clear evidence from countries that have enforced
the wearing of helmets. British Medical
Journal, 332, 722-725.
Tin Tin S, Woodward A, Thornley S, Ameratunga S. (2011). Regional
variation in pedal cyclist injuries in New Zealand : safety in numbers or
risk in scarcity. Australian and New Zealand
Journal of Public Health, 35 (4), 357-363.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire